« Voir, juger, agir », telles ont été les bases de la pédagogie diffusée par les organisations de jeunesse de l’Action catholique pendant des décennies. Ces mouvements, aujourd’hui oubliés et encore insuffisamment étudiés, ont été des lieux d’éducation populaire et de formation de nombre de militants dont certains ont joué, plus tard, un rôle de premier plan dans les domaines syndical, associatif ou politique : Michel Debatisse, Bernard Lambert, Henri Nallet, Jean-Marc Ayrault… Le premier mérite de ce livre est de le rappeler alors que ce que Jérôme Fourquet a appelé la « dislocation de la matrice catholique » pourrait le faire oublier[1].

               Cet ouvrage collectif dirigé par Bernard Giroux, agrégé et docteur en histoire, auteur de La Jeunesse étudiante chrétienne, des origines aux années soixante-dix, est le fruit de deux journées d’étude organisées en 2017 et 2019. Il est composé de douze contributions relativement courtes et parfois denses. Celles-ci sont l’œuvre d’historiens, certains jeunes, d’autres reconnus, et d’acteurs de ces mouvements qui présentent leurs témoignages.

Des mouvements de jeunesse oubliés dont le rôle fut majeur

               Les contributions introductives de B. Giroux et de Yvon Tranvouez (auteur de Catholicisme et société dans la France du XXe siècle : apostolat, progressisme et tradition), rappellent ce qu’a été l’Action catholique auprès de la jeunesse (des jeunesses) avec ses composantes spécialisées, souvent par profession : JEC/JECF (Jeunesse étudiante chrétienne/JEC féminine) ; JAC/JACF (Jeunesse agricole catholique/JAC féminine) qui deviendront plus tard le MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne) ; JOC/JOCF (Jeunesse ouvrière chrétienne/JOC féminine) ainsi que des mouvements moins connus (auprès des indépendants, des travailleurs de la mer ou des adultes)… Ces organisations regroupaient des laïcs qui entendaient convertir mais aussi agir sur le monde. Elles ont bénéficié, jusqu’en 1975, d’un mandat de l’épiscopat qui en faisait des représentants officiels de l’Église. Ces deux textes rappellent aussi les travaux de leurs prédécesseurs tel Gérard Cholvy ou d’historiens contemporains comme Denis Pelletier[2]…  Dans cette introduction, une chronologie (classique) de ces mouvements est esquissée, des problématiques de travail sont suggérées et les lacunes actuelles de la recherche ne sont pas oubliées.

Expériences de militants (1945-1965)

La première partie de l’ouvrage est composée des contributions de trois historiens. Ceux-ci étudient les expériences de militants qui n’ont pas eu des responsabilités importantes. Dans cette partie deux acteurs présentent aussi une contribution. Vincent Flauraud, auteur d’une thèse sur la JAC de l’Aveyron, propose une « égo-histoire de militants » des années 1950, dans ces campagnes encore largement catholiques. Et ce à partir de questionnaires diffusés par le mouvement. Claire Bailly-Alemu s’intéresse plus particulièrement aux origines et au parcours de militants et de militantes de ce mouvement dans le Jura en s’appuyant sur les réflexions méthodologiques de sociologues tels Sylvain Maresca ou Pierre Bourdieu. Les témoignages de Jacques Meunier sur la JEC et de Jacqueline Garet sur la JOC montrent l’importance pour ces militants de ces mouvements. Ceux-ci ont constitué une « école d’ouverture à la vie militante » pour l’un et un « chemin pour un engagement citoyen » pour l’autre. Par ailleurs, pour les deux, la foi n’a pas été abandonnée mais plutôt transformée. Enfin, Jean Divo propose une étude, peut-être plus classique, de la JOC entre 1945 et 1965.

L’éclatement de l’Action catholique spécialisée (1965-1975)

Le milieu des années 1960 est souvent considérée comme une moment-clef de l’avant mai 1968 puisqu’elle correspond à l’exclusion de l’Union des étudiants communistes d’Alain Krivine, Henri Weber et Daniel Bensaïd qui s’en allèrent créer la JCR. Les évêques rouges ne pouvant accepter leur dissidence juvénile guévaro-trotskysante.

Or l’année 1965 est aussi celle de la crise du MRJC qui voient les évêques, ceux de l’Église catholique, reprendre en main ce mouvement et exclure, de fait, des jeunes trop remuants qui voulaient s’émanciper de la hiérarchie. Tel Michel Bertin cité à plusieurs reprises. La JEC connaît aussi une crise profonde la même année, due à des positions temporelles qui déplaisent à l’épiscopat. Cette partie de l’ouvrage permet de revenir sur les dimensions de ces crises mais aussi de repérer les chantiers qu’il serait nécessaire de creuser. Ainsi Yann Raison du Cleuziou présente les « enjeux de l’histoire des mouvements de jeunesse de l’Action catholique entre 1965 et 1979 ». Étudiant la JEC après Mai 68, Bernard Giroux demande « Que faire de sa vieille Bible ? » à un moment où le marxisme se diffuse auprès de la jeunesse scolarisée. Jean-Yves Baziou présente brièvement « l’abandon du mandat de l’Action catholique par les évêques » (1975) et ses raisons. Par ailleurs, Myriam Bizien-Filippi évoque les efforts de la JOC auprès de jeunes ouvriers musulmans entre 1960 et 1970. Enfin, un témoignage revient sur la JOC et deux autres portent sur un mouvement peu connu la JICF (Jeunesse indépendante chrétienne féminine). Ces contributions sont stimulantes et éclairantes pour une histoire encore en chantier pour laquelle des apports nouveaux seraient les bienvenus.

Une solide conclusion rédigée par B. Giroux et V. Flauraud présente les apports de ces mouvements et insère les débats qui les ont traversés dans les transformations considérables de la société française. Une courte mais utile bibliographie permet d’aller à l’essentiel pour qui veut approfondir le sujet. Un guide des sources accompagne l’ouvrage. Peut-être suscitera-t-il des vocations afin de poursuivre un chantier de recherches sur des mouvements dont l’heure de gloire est passée mais qui vivifièrent largement, un temps, la société française ?

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[1] J. Fourquet, L’archipel français. Ouvrage intéressant même si plusieurs affirmations de cet auteur mériteraient d’être nuancées.

[2]  Voir : G. Cholvy, Histoire des organisations et mouvements chrétiens de jeunesse en France (XIXe-XXe siècle) – D. Pelletier, La crise catholique. Religion, société, politique en France (1965-1978) ou A la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, (co-direction avec Jean-Louis Schlegel).