Le texte écrit par Joy Sorman, en résidence en mai 2011 à la gare du Nord, sort en librairie ce mois-ci aux éditions Gallimard. La collection L’Arbalète est d’autant mieux choisie pour éditer ce texte puisque, sous couvert d’observations badines, l’auteur décoche ses flèches contre ce lieu à la réputation sulfureuse (cf les émeutes de 2007 et le sentiment d’insécurité du lieu relayé par les médias) et contre ceux qui vivent et y travaillent. Il s’agit d’un journal de bord, posté heure par heure dans le cadre du Festival Paris en toutes lettres. Et c’est là que le lecteur estime qu’il y a tromperie sur la marchandise. Présenté comme une immersion totale dans l’univers d’une gare, avec l’idée de passer une semaine à la Gare du Nord pour voir les gens qui y passent, ce texte est finalement un « gentil voyage organisé » par la SNCF (Gares Connexions) et la RATP dans ce dédale de couloirs. L’auteure passe l’essentiel de son temps en compagnie des encadrants de cette gare (Brigade des réseaux ferrés, contrôleurs, agent de liaison, conducteur de métro, centre de gestion de crise…) et les contacts directs avec les passagers sont finalement très réduits. Cela ne lui enlève pas son ton sarcastique mais une fois le cadre donné (il faut attendre la dernière page du livre pour apprendre les conditions de réalisation de ce texte !), la plongée dans l’univers de la gare du Nord perd un peu de son piment.
L’idée d’être immobile au milieu des mobiles n’est finalement pas menée jusqu’à son terme et c’est en cela que, lorsque l’on referme ce court ouvrage (81 pages), le sentiment d’insatisfaction gagne le lecteur. L’analyse de l’espace public, de sa gestion (« Il faut circuler, évacuer, surtout pas se poser, pas s’installer »), si elle n’est pas absente, laisse un sentiment d’inabouti. Quelques belles pages tout de même : celles faisant appel au champ lexical maritime (marée haute / marée basse) pour désigner ces flots de passants, des réflexions intéressantes sur le point de vue des conducteurs de métro ou de Transilien qui voient passer chaque jour aux mêmes heures les mêmes personnes et les voient ainsi vieillir. Le regard de néophyte que pose Joy Sorman mérite aussi le détour. Il permet de mettre à jour les territoires de la gare. Eurostar, Thalys, TER, Corail, TGV, Transilien autant de catégories de trains, autant d’univers et de « conflits de territoires » entre SNCF et RATP, SNCF et société d’exploitation de l’Eurostar… En effet, pas grand-chose de commun entre les passagers d’un train de la ligne K qui relie Paris à l’Oise, les hommes d’affaires en partance pour Londres, et encore moins avec le peuple de l’ombre présent dans la gare (SDF, groupes de mendiantes roumaines). Et pourtant, tout ce petit monde (60 000 voyageurs / jour) se croise, sans se voir ou presque et globalement, cela se passe plutôt bien !
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes