Introduit par un éditorial d’Emmanuel Blanchard et Sylvie Thénault« Quel  »monde du contact » ? Pour une histoire sociale de l’Algérie pendant la période coloniale ». Emmanuel Blanchard est MC à l’UVSQ, Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP, UMR 8183). Sylvie Thénault est chargée de recherches au CNRS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle (CHS, UMR 8058)., ce dossier sur « La société du contact dans l’Algérie coloniale », aborde les continuités du quotidien colonial. Avant même de le voir mentionné en page 5, on songe d’emblée à un ouvrage d’Annie Rey-Goldzeiguer Aux origines de la guerre d’Algérie (1940-1945). De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, La Découverte, 2002. où la notion de monde du contact faisait l’objet d’un traitement systématique. Mais le contact a-t-il vraiment été établi ? Malgré la ségrégation, il est difficile d’imaginer que rien n’ait pu exister en 130 ans. Restait à définir plus finement la notion.

Des contacts plutôt urbains

Dans le cas du Front populaire en Oranie, les contacts et interactions sont limités mais réels et importants, même si les « indigènes » restent peu nombreux dans les organisations. Claire MarinowerDoctorante au Centre d’histoire de Sciences-Po, ATER, Paris-Est, Marne-la-Vallée, prix de la Fondation Jean-Jaurès 2007, « Le moment Front populaire en Oranie : mobilisations et reconfigurations du milieu militant de gauche. » Il est à noter que le résumé en anglais emploie improprement et anachroniquement leftist (gauchiste) pour dire « de gauche ». analyse les organisations du Front populaire dans ces espaces urbains. Parmi les thèmes les plus discutés, figure le projet Blum-Violette, perçu comme prélude à une extension générale de la citoyenneté.

Le contact dans l’espace urbain est également analysé à Alger avec l’étude de l’islahisme, mouvement de réforme structuré autour des ‘ulamâ’ en 1931. Afaf ZekkourMaître-assistante à l’université Hassiba Ben Bouali, Chlef, « Les lieux de sociabilité islahistes et leurs usages : la ville d’Alger (1931-1940) ». montre comment, réinvestissant d’autres espaces, les « musulmans » contournent l’ordre colonial à la mosquée ou lors de fêtes de rue. Cercles, associations de bienfaisance participent aussi de cette réappropriation via la langue, la religion, la poésie et le théâtre.
Afaf Zekkour souligne le triple glissement caractérisant son objet d’étude : spatial, de la Casbah vers Belcourt, social, des grandes familles algéroises vers les nouvelles couches, enfin idéologique, du réformisme culturel et religieux vers le nationalisme.
Le monde du contact est aussi fait d’informateurs et de policiers qui surveillent les journalistes « indigènes » et les religieux. On note la fluidité de la circulation des idées, l’essentiel des responsables religieux de l’époque ayant été formé à la Zeitouna de Tunis. Les logiques culturelles, linguistiques et religieuses transcendent les frontières coloniales. On constate que l’étude révèle un monde du contact marqué par le contrôle du religieux exercé par un État réputé laïque[Cf. Sadek Sellam, La France et ses musulmans. Un siècle de politique musulmane (1895-2005), Fayard, 2005.->http://clio-cr.clionautes.org/spip.php?article1297].

Philippe ZessinInstitut universitaire européen, Florence. explique que le contact reste ténu lorsqu’il s’agit de la presse « indigène »«Presse et journalistes ‘indigènes » en Algérie coloniale (1890-1950)». Contrairement à la presse du Levant, celle-ci est fort peu professionnalisée, très marquée par le militantisme politique. Si ses acteurs sont majoritairement insérés dans le système colonial, il est clair que l’ensemble d’entre-eux est exposé à une forte discrimination professionnelle et politique. S’ils jouent un rôle réduit dans le monde du contact, ces journalistes agissent cependant de façon décisive dans la construction d’une opinion publique « musulmane ». Constamment sous surveillance, cette presse politisée, fortement touchée par la répression, glisse, après la création de l’Étoile nord-africaine, du réformisme à un nationalisme marquant sa distance par l’emploi de la langue arabe.

 

Le contact en milieu rural ? La France, c’est le caïd et le garde-champêtre

Faut-il restreindre le monde du contact à l’espace urbain ? Dans son étude sur les Béni-Boudouane de la région de l’Ouarsenis, Giula FabbianoAnthropologue, post-doctorante à Experice, Paris XIII, chercheuse associée au CADIS (EHESS-CNRS), « »Pour moi l’Algérie, c’est les Béni-Boudouane, le reste j’en sais rien ». Constructions, narrations et représentations coloniales en Algérie française.» nous apprend que ce qu’elle a longtemps pris pour une mémoire de l’Algérie était surtout celle de l’espace vécu des Béni-Boudouane, région peu investie par les colons.
L’exemple des Béni-Boudouane pose ainsi une des limites de ce monde du contact en même temps que celui du sens de la souveraineté, nationale ou coloniale. Quand il existe, le contact est genré à l’exception de la consultation médicale. Mais qu’est-ce que l’Algérie française pour les Béni-Boudouane ? « Pas de colons, pas de fonctionnaire », avait déjà écrit Germaine Tillion en 1957. Et le lecteur de songer à ces cinq fonctionnaires qui, vers 1895, justifiaient par leur seule présence le coloriage de l’Ouganda sur l’atlas du monde britannique. De même la France des Béni-Boudouane semble-t-elle se résumer au caïd (le bachaga) et au garde-champêtre.

 

De Madagascar en 1972 et de l’usage des TIC en révolution

Françoise BlumIngénieur de recherche au CNRS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle. s’est intéressée à la révolte de 1972 à Madagascar« Madagascar 1972, l’autre indépendance. Une révolution contre les accords de coopération ». Ce mouvement marque l’exaspération contre une élite issue de la période coloniale. L’étude invite à s’interroger sur la notion de rupture avec la métropole puisque, avant 1972, Madagascar reste encore sous la forte influence de la France de l’incontournable Jacques Foccart.
Observatrice sur le vif des événements qui ont touché la Tunisie en 2010-2011, Leyla DakhliDocteure et agrégée d’histoire, spécialiste du monde arabe contemporain, membre du secrétariat du Mouvement social, « Une lecture de la révolution tunisienne. » aborde la question des sources historiques avec d’un côté l’apport du Web 2.0 et de l’autre la disparition d’une partie des archives nationales. Elle cartographie les blogs et s’intéresse à l’esthétique du mouvement, à sa rhétorique et à ses sources d’inspiration.

 

Pour qui enseigne les temps coloniaux, il est clair que ce numéro 236 du Mouvement social contribue à nourrir une vision plus distanciée de la colonisation, souvent marquée par une mémoire des ruptures. On nous rappelle ici qu’il y eut aussi en Algérie un quotidien colonial et des possibilités de contact, fussent-elles réduites. L’exemple malgache montre par ailleurs que la rupture peut venir bien après l’indépendance.

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Notes de lecture

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