En 1967, A Corbin, jeune professeur agrégé du lycée Gay-Lussac de Limoges sillonne la région pour recueillir les souvenirs de ceux qui avaient vécu la période des années 1930. En bon adepte de l’histoire orale, il collecte impressions sociales et politiques auprès d’anciens porcelainiers, cordonniers, papetiers, plâtriers, rentiers ou marchands de vin à Limoges, mais aussi de paysans de la Haute-Vienne. Pour le lecteur de 2019, il s’agit donc d’une plongée temporelle à double entrée, les années 60 se superposant aux années 30.

Dans ses travaux, A Corbin embarque toujours son lecteur au plus près du vécu, entre témoignages et sensibilités. Ici, il se mue en un authentique architecte des opinions. Opinions des années trente en France, dans le département de la Haute-Vienne, entre ville (Limoges) et campagne, ressuscitées par les questions de l’historien au mitan des années 60. L’éventail des objets proposés est assez large (les immigrés italiens, les Anglais, les Russes), tout en faisant la part belle aux questions de politique intérieure (le chômage, Léon Blum, les Croix de feu) et de relations internationales (l’impérialisme italien). En somme, il place les problématiques d’une époque au filtre de la reconstruction des souvenirs. Les analyses de l’historien sont assez brèves, ce qui confère plus de relief aux témoignages récoltés et transforme l’ouvrage en un journal des années trente.

Au fil des 225 pages, l’immersion au cœur de ces années 1930 interroge le lecteur sur l’écriture même de l’histoire. En effet, A Corbin dévoile des perceptions d’en-bas, développées par le peuple des ouvriers et des agriculteurs, même si l’historien interroge ici et là quelques bourgeois et entrepreneurs limousins. Les représentations qui émergent avec le plus de force, dans un contexte marqué par la Grande guerre, donnent à voir les problèmes économiques, mais aussi la question du leader, ou encore la peur de l’étranger. Autant d’enjeux qui n’ont pas pris une ride.