Pour bien savourer cet imposant ouvrage, il faut d’abord se remettre dans le contexte du fort de Montluc, devenu Mémorial national en 2010. Ce lieu, voué à la destruction, dans un quartier qui attise les convoitises des promoteurs immobiliers, a été sauvé par la mobilisation d’associations d’anciens détenus, émus de la potentielle disparition de ce site.
Prison militaire, prison sous Vichy, prison de la Gestapo, prison politique, prison pour hommes, prison pour femmes, c’est un lieux aux histoires et aux mémoires multiples. Aujourd’hui, c’est un lieu où s’entrechoquent, parfois de manière passionnée et virulente, ces mémoires. En effet, le site a connu quelques travaux ces dernières années devant l’augmentation du public, scolaire comme extra-scolaire. Ces visites sont aujourd’hui très centrées sur le passé de la prison pendant la Seconde Guerre mondiale et il y a une volonté de se diversifier vers d’autres périodes, ce qui suscite une certaine désapprobation des associations de résistants, par peur de voir leur mémoire s’étioler fou mise en retrait. Il n’est pas question, ici, de donner un avis sur ce débat, mais simplement de remettre en perspective l’ouvrage présenté.
L’auteur a décidé de se concentrer sur la vie post-seconde Guerre mondiale du site. Il démarre par sa libération, fin août 44. Il se termina globalement avec les conséquences de la guerre d’Algérie et la présence, illustre mais éphémère de Klaus Barbie, au moment de son retour de Bolivie.
Mais cette trame chronologique se saurait en rien représenter l’essence de l’ouvrage. C’est d’abord un ouvrage d’humains. Ce sont des parcours d’hommes et de femmes, c’est un récit de leurs relations tumultueuses, de leurs parcours. C’est une explication de leur présence et, à travers eux, de ce que les murs transpirent encore aujourd’hui.
Ce livre, c’est aussi cette question des mémoires présentées en introduction. Dès la libération du fort se pose la question des bourreaux devenus prisonniers, de leur jugement, du retour de l’Etat de droit. La mémoire, c’est le travail des historiens pour documenter, « sourcer » l’histoire de Montluc. Dans cet ouvrage, Marc André donne une idée de la quantité de sources autour de Montluc : l’ouvrage est truffé de documents, de notes, de photos qui montrent la densité du travail de recherche nécessaire à l’écriture d’une telle somme. Les mémoires, ce sont celles de chaque personne passée par ces cellules de 4m2, de leurs bourreaux et/ou de leurs victimes.
Cet ouvrage ouvrage dépasse le simple cadre lyonnais du Mémorial du fort de Montluc. Il élargit la réflexion autour des querelles entre histoire et mémoire. Il pose une juste analyse des enjeux autour de la patrimonialisation de tel ou tel site. La richesse des parcours, des histoires individuelles, la précision des anecdotes peut ravir n’importe quel curieux de cette époque.
Présentation du livre sur le site de l’éditeur
Plus d’informations sur le site de l’université de Rouen: https://grhis.univ-rouen.fr/grhis/?page_id=13159