Cette sympathique initiative donne à lire un ensemble d’articles indépendants les uns des autres qui aux confins de nos deux disciplines pourront donner quelques idées de travaux à conduire avec des élèves en particulier sur le paysage et son évolution.
C’est un total de 16 contributions organisées en trois parties:
Aux sources du paysage: témoignages et méthodologie
David Glomot, médiéviste creusois en poste à l’université de Toulouse, montre comment le cadastre Napoléon peut être une source irremplaçable de connaissance du paysage limousin assez différent de ce qu’il est aujourd’hui. Après une description détaillée de la méthodologie employée, grâce notamment à la géolocalisation et à la micro-toponymie, c’est le paysage même qui se dessine: parcellaire, bois et landes mais aussi l’évolution des patrimoines.
Jean Tricart, lui aussi médiéviste, professeur honoraire à l’université de Tours, évoque tour à tour les témoignages positifs sur la nature limousine idéalisée au Moyen Age dans les hagiographies de St Eloi ou st Remacle autour de l’abbaye de Solignac ou le récit d’un marchand allemand Jérôme Munzer au XV ème siècle et les récits catastrophiques déjà réunis par les historiens du XIX ème et début XX me siècle, comme la chronique de St Martial qui nous renseignent sur les événements climatiques ou épidémiques.
C’est l’arbre qui est au centre des réflexions d’un jeune historien: Ludovic Aumasson. Si les sources médiévales sont peu nombreuses les terriers de l’époque moderne et la carte de Cassini permettent d’approcher les formes de boisement, les essences présentes, leurs usages et les aspects juridiques notamment autour des réserves seigneuriales de chasse. Le rôle économique: énergie, bois d’œuvre, fabrication des objets domestiques mais aussi pâturages montrent l’importance de la forêt. Mais elle est aussi soumise à des défrichements en particulier dans la limite fluctuante entre bois et landes. Enfin l’auteur aborde le sujet de l’arbre des haies: importance des espèces fruitières et leur rôle dans la mise en place du bocage qui à l’époque moderne va de pair avec le développement de l’élevage.
Avec Alain Blanchard, maître de conférence à l’Université de Limoges, c’est le travail d’un arpenteur géomètre qui est mis en valeur. Les grands plans réalisés pour le Collège de Limoges à la fin du XVIII ème pour une meilleure gestion de ses domaines son l’œuvre de François Faure. Les documents étudiés le suivent dans ces travaux de terrains, les réalisations cartographiques et recréent le paysage à la lecture de quelques documents présentés dans cet article.
Les mutations du paysage limousin
La genèse du paysage culturel du plateau de Millevaches est traquée par une équipe d’archéologues Yannick Miras du laboratoire de Paléoenvironnements et géoarchéologie, Pascal Guenet et Hervé Richard du laboratoire de chrono-environnement dans la précision des analyses polliniques qui offrent un point de vue irremplaçable sur la longue durée des relations homme/environnement. C’est l’apparition de l’anthropisation d’un espace qui est étudiée ici pour le Limousin à partir des premières expériences en ce domaine de Bernard Valadas. A la croisée des sciences expérimentales et sociales la méthode utilisée permet de mieux comprendre les temps, étapes de l’évolution des paysages depuis la néolithisation, le recul relatif de la fin du III ème siècle, la mise en place de l’économie agro-pastorale entre le IX et le XII ème siècle, le recul des landes à bruyères à la fin du XVIII ème et jusqu’à la déprise récente. L’article se veut un plaidoyer, réussi, pour l’interdisciplinarité dans l’étude des dynamiques paysagères.
Robert Chanaud, directeur des Archives départementales de la haute Vienne nous rappelle que si la culture du chanvre était marginale elle était aussi jusqu’à la fin du XIX ème omniprésente à proximité des maisons et jardin d’après les baux de métayage, le plus souvent au seul bénéfice du preneur pour un usage domestique (cordes, toiles) et non commercial.
Jean Pierre Delhoume, chercheur en pédologie mais aussi historien moderniste fait porter son étude sur la dynamique du paysage dans l’élection de Limoges à partir d’une source peu connue: les états de fond réalisés entre 1740 et 1760 à des fins fiscales. Il identifie les éléments bâtis, les espaces agraires et les bois et incultes où l’on retrouve la vieille distinction déjà évoquée par Pierre Goubert et inspirée de l’agronomie romaine: Hortus-domus, Ager et Saltus. Ici ces espaces se distribuent selon le relief, quand le bâti se concentre à mi-pente entre bas-fonds humides et landes des interfluves.
Pascal Plas, historien contemporanéiste et Farid Boumedienne, géomaticien tous deux de l’université de Limoges nous entretiennent de la châtaigneraie en Limousin-Périgaord. Longtemps élément fondamental de l’alimentation humaine comme animale, la châtaigneraie à fruits recule dès du XVIII ème siècle. Les taillis très utilisés pour la production de charbon de bois sont eux aussi en recul comme l’avait montré dès 1940 l’étude du géographe Aimé Perpillou. C’est cette évolution que cet article cherche à mesurer et expliquer.
Romain Couty, un jeune collègue, nous propose un angle de vue pour le moins inhabituel: la statuaire politique de la fin du XIX ème s., au moment même où la compétition électorale est vive à Limoges entre radicaux et opportunistes. Les acteurs de cette politique statuaire sont multiples: Etat représenté par le préfet, municipalité mais aussi la population appelée à des souscriptions et mécènes indispensables au financement de ces projets. Si le style n’innove guère le message civique et politique non plus, analysé ici à l’aide de quelques exemples: statues du général Jourdan, de Gay-Lussac ou de personnages moins illustres à l’échelle nationale comme Denis Dussoubs, expression de l’identité de gauche de Limoges.
Michel C. Kiener, historien contemporanéiste, se penche, ici, sur l’évolution du paysage des bourgs et des petites villes de 1850 à 1950. Après un choix détaillé de bourgs retenus, plutôt des chefs-lieux de canton, il s’agit d’une description de ce qui constitue le choeur de ce paysage à partir de l’exemple d’Aygurande. Les nombreuses références littéraires et historiographiques enrichissent la réflexion sur: “la rue commerçante”, ses services, ses acitivités, son organisation, l’ouverture progressive du centre du bourg en relation avec le développement des voies de communication. C’est une mise en regard du paysage urbain et d’un mode de vie d’une époque donnée.
Une histoire socio-culturelle du paysage et de l’environnement
On retrouve le médiéviste David Glomot pour un tableau des paysages ruraux entre Francs et serfs en Haute-Marche à la fin du Moyen-Age. C’est un paysage très différent de celui que nous connaissons: moins de couvert forestier mais plus de landes, la surface agricole représente environ la moitié de l”espace, essentiellement consacré aux labours pour le seigle, enfin routes, bourgs et étangs. L’auteur présente la société rurale limousine en cette fin de Moyen Age, dans une région qui, du fait de son isolement, a mieux résisté aux calamités du temps. Ce qui marque c’est à la fois l’aspect hiérarchisé et composite de la seigneurie; un paysage ou mieux des paysages selon que le paysan est tenancier libre ou serf. Des cartes viennent compléter avec efficacité le propos.
Philippe Grandcoing, spécialiste d’histoire contemporaine à l’Université de Limoges, montre comment le châtaignier a pu, entre 1800 et 1940, cristalliser une image négative de la région, depuis Turgot qui t voyait un frein au développement agricole mais aussi comment il est devenu, en quelque sorte, le totem du Limousin chez quelques auteurs pour qui il incarne la liberté. En analysant des textes, l’auteur met en évidence les dynamiques rurales et identitaires renforcées quand décline de la châtaigneraie face à l’industrialisation.
Stéphane Frioux, ENS Lyon, s’intéresse aux questions d’assainissement urbain. Dès le XIXème s. Les “nuisances” apparaissent dans les sources d’histoire urbaine et cela doit permettre une histoire environnementale du fait urbain. Si le XIX ème est, comme l’écrit Stéphane Frioux, une lente maturation des politiques d’hygiène publique: aérer, lutter contre les industries insalubres dans une ville réputée puante comme Limoges où les bornes fontaines se multiplient; c’est à la Belle Époque que naît réellement l’urbanisme à Limoges alors même que la capitale régionale est fréquemment recouverte de poussières atmosphériques. Au XX ème siècle la question de l’eau reste première dans les délibérations municipales.
Jean-François Malange, du laboratoire Framespa de l’université de Toulouse, nous propose une rencontre avec les pêcheurs à la ligne, à l’émergence d’une nouvelle sensibilité à l’égard de l’environnement dès le XIX ème s. Terre dépeuplée, le Limousin est souvent présenté comme une région dédiée à la nature. Les rapports officiels sur la faune halieutique mettent en lumière les conflits d’usage entre pêcheurs et industriels de la porcelaine ou du travail du cuir, d’autant que la pisciculture se développe dans les années 1880-1900. La période suivante est marquée par la croissance des sociétés de pêche qui vont jouer un rôle de sentinelles de l’environnement.
C’est à un lieu apprécié des pêcheurs: le lac de Vassivière que le sociologue Alain Carof consacre l’article suivant. Il s’agit de voir comment a été pensé cet aménagement créateur d’un nouveau paysage et le rôle du SIMIVA dans la gestion de l’aménagement.
En conclusion Pierre Vallin, cherche à analyser la place de l’arbre et du paysage dans le sentiment et les politiques publiques. Il montre que c’est le regard porté sur qui est fondamental dans ce Limousin sans forêt au XIX ème s. et où elle gagne de façon rapide et spontanée, en relation avec la déprise agricole au début XX ème avant de devenir un monde de résineux soutenu par l’Etat.
© Christiane Peyronnard