En 2011, Perrine et Charles Hervé-Gruyer rendaient compte de leur expérience dans un premier ouvrage, dont vient de paraître une nouvelle édition en mars 2017 qui tient évidemment compte des évolutions de leur expérience paysanne.
En effet, le couple s’est établi en 2004 dans une ferme normande, désormais bien connue, au Bec-Hellouin (Haute-Normandie). C’est leur cheminement qui est raconté par Charles Hervé-Gruyer, tant dans leurs
tâtonnements que dans les influences et rencontres (Eliott Coleman et d’autres) qu’ils ont pu faire et qu’ils continuent à faire.Dans le même temps, on y explique ce qu’est la permaculture, sans pour autant que l’ouvrage soit un manuel : un « guide pratique sur le jardinage et la microagriculture permaculturels » est d’ailleurs annoncé (p. 29). Le livre rend surtout compte d’un itinéraire, de sa construction progressive. Si l’on peut considérer la permaculture comme une méthode agriculturale, elle est avant tout un rapport à la terre qui repose sur des principes que chacun est invité à adapter, à modifier, à inventer, en tenant compte de l’ensemble des éléments qui composent le métier dans lequel il se trouve.

Les résultats sont donc la création d’une « microferme », dont la production intensive rappelle les pratiques culturales des hortillonnages et des Flandres, et le contado de la Toscane : tout est mis en œuvre pour tirer le meilleur parti d’une surface réduite. Pour cela, on pratique une « microagriculture », à savoir l’association des plantes, dont le but est la création d’un écosystème faisant interagir différents éléments. Parmi ceux-là, on trouve la forêt, désignée ici comme une « forêt-jardin », qui fournit ombre, protection contre le vent, mais aussi des matières premières dont le sol a besoin. Celui-ci est enrichi par une conduite très précautionneuse : il est couvert en permanence par un paillis ou des végétaux en place ; la mécanisation est très réduite, car est privilégiée l’économie d’énergie, notamment fossile, par le travail à la main privilégié, ce qui ne veut pas dire absence de moyens mécaniques (semoir de Coleman). Cela permet de reconstituer les sols, ou même de les constituer : le Bec-Hellouin est établi en fond de vallée, sur un sol maigre impropre à la culture. Un autre élément est constitué par les animaux (les poules qui recyclent les rebuts, et produisent ans déjections réutilisées dans un cycle vertueux). Les autres éléments (air, eau, mais aussi l’homme) sont pris en compte dans une démarche globale.
L’INRA a conduit une enquête sur 1 000 m2, en comptabilisant très scrupuleusement tout ce qui était utilisé et tout ce qui était produit, pour mesurer la productivité de cette surface très réduite. Elle conclut à l’agradation du sol (l’amélioration de ses qualités pédologiques), à une production qui, si elle nécessite un travail de 43 heures hebdomadaires, permet de dégager un revenu net de l’ordre de 1 000 à 1 500 € par mois. Le modèle est donc viable.
Au-delà, ces pratiques permettent d’employer une trentaine d’employés à l’hectare (soit une surface dix fois plus importante), sans prendre en compte les emplois indirects (entretien du matériel, valorisation de la production, etc.). On a donc un modèle alternatif à l’agriculture productiviste. Mais il constitue également une réponse à l’éloignement croissant entre la production agricole et les consommateurs. Ainsi, à New York, les producteurs étaient présents dans un rayon de 10 km en 1900 ; aujourd’hui, la déconnexion est totale.

En conclusion, les auteurs estiment que leur système agricole incite à l’optimisme. Il permet la restauration d’une agriculture à taille humaine, associée à des pratiques qui offrent des rendements importants en protégeant les capacités du sol à se régénérer (par une moindre pression). Il peut convenir à l’agriculture des pays du Sud, particulièrement menacée par l’influence du modèle productiviste. Mais il convient également à celle des pays du Nord : la productivité n’est pas forcément là on croit qu’elle est. Il montre qu’un autre rapport à l’espace est possible, ce qui influe également sur les paysages. Au lieu des vastes openfields
hyper-spécialisés, dont les rendements stagnent (au mieux) voire diminuent, on peut mettre en place des parcelles assez réduites très productives. Enfin, ce modèle influe sur les rapports sociaux : il incite à une plus forte coopération, par la mutualisation des moyens matériels et des bras ; par l’échange des pratiques, etc.
On retrouve alors l’ambition du projet permaculturel, à savoir qu’il n’est pas une méthode agricole, mais qu’il incite à considérer un vaste ensemble d’éléments, en interaction, dont les hommes sont partie prenante.

Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes