Vincent Carpentier, archéologue à l’INRAP, propose un tour d’horizon de ce que sa discipline peut apporter à la connaissance de la Seconde Guerre mondiale. Précédemment auteur d’une « Archéologie du Débarquement » en 2014, il fut aussi la cheville ouvrière d’un colloque en 2019 sur l’archéologie des conflits contemporains. Ce panorama permet d’éclairer ce conflit sous un jour parfois peu connu. L’ouvrage contient une abondante bibliographie d’une cinquantaine de pages ainsi qu’un précieux index des noms de lieux. Le livre est structuré en trois grandes parties pour un total de quatorze chapitres.  Le premier thème s’intitule « Le béton et l’acier, grands témoins du conflit », le deuxième « Les vestiges des champs de bataille » et le troisième « Archéologie des ravages et violences de masse ».

Archéologie et Seconde Guerre mondiale

Tout d’abord le poids de l’archéologie dépend de chaque pays et, de façon globale, jusque dans les années 90, les travaux demeurent marginaux. L’aspect technique n’est pas à négliger car il permet des études d’anciens champs de bataille fossilisés par la forêt ou l’urbanisation. L’archéologie de la Seconde Guerre mondiale suscite aussi l’émergence de nouveaux objets de recherche. Une autre question se pose : celle de la conservation et du devenir de la mémoire matérielle de cette guerre.

Les lignes défensives de l’entre-deux-guerres

On assiste durant tout le conflit à une bétonisation sans précédent : on peut à ce titre citer la politique suisse de  « Réduit national ». De façon générale, les sites ont été très diversement protégés après le conflit comme le montrent les exemples de la ligne Maginot et du Vallo Alpino pour l’Italie.

L’entrée en guerre et la mise en place de la défense allemande

Le mur de l’Atlantique est à la fois le plus grand ouvrage stratégique conçu par le III ème Reich et le plus vaste monument de la Seconde Guerre mondiale encore en partie conservé. Les bunkers furent généralement dépecés après guerre par les ferrailleurs. Il reste beaucoup de travaux à mener sur les relais téléphoniques, stations radars ou autres sites de lancement de missiles.

La défense de la Grande-Bretagne et les préparatifs du Débarquement

20 000 ouvrages bétonnés furent construits dont plus de la moitié au cours des quatre premiers mois. L’héritage technologique de la guerre a été réutilisé durant la Guerre froide dans le cadre du programme Rotor. La préparation du Débarquement a laissé de nombreuses traces en Grande-Bretagne car, du 6 au 30 juin, ce ne fut pas moins de 850 000 hommes qui furent engagés sur le front de Normandie avec près de 150 000 véhicules. L’ouvrage évoque aussi les ports artificiels et les défis techniques qu’ils représentèrent ainsi que la logistique d’acheminement du carburant.

Grands ouvrages militaires défensifs de la guerre du Pacifique

L’originalité des vestiges s’explique par la géographie des lieux à savoir des îles. Dans le sous-sol de Rabaul, les Japonais percèrent des kilomètres de tunnels destinés à protéger leurs installations et troupes des raids américains.

Protéger les populations et les cibles civiles : les défenses passives

En Italie, un décret de 1936 imposa que chaque nouvelle habitation soit dotée d’un abri en sous-sol ou au rez-de-chaussée signalé dans la rue par l’affichage d’une lettre R. Au Royaume-Uni, la construction d’abris est encouragée. Quant aux abris bétonnés du Reich, ils se révélèrent difficiles à détruire et furent donc conservés après guerre. Dans le cas français, Vincent Charpentier note qu’il reste un important patrimoine à découvrir.

Ce qu’il reste des combats : des grains de poussière emportés par le vent

L’auteur revient sur l’étude d’échantillons de sable de la plage d’Omaha Beach grâce à un microscope à balayage électronique. Cet exemple témoigne aussi de la nécessaire interdisciplinarité pour appréhender une guerre totale.

Archéologie des théâtres d’opérations, du Pacifique à la Normandie

L’île de Peleliu est aujourd’hui considérée comme le champ de bataille le mieux conservé de tout le Pacifique sud et, sans doute, de l’ensemble des théâtres d’opérations de la guerre explorés par l’archéologie. Depuis la fin de la guerre les habitants ont délaissé ces zones. Vincent Charpentier revient ensuite sur la bataille de Normandie et porte la focale sur les enquêtes archéologiques autour de Caen.

Archéologie du quotidien des soldats sur le front

Un vestige auquel on ne pense pas forcément est le trou d’homme. Le creusement des abris individuels requérait des outils efficaces. La pelle pioche allemande repliable était très performante. Des manuels existaient aussi pour apprendre les meilleures techniques. L’auteur aborde également la question de l’alcool bu par les soldats et la moitié des soldats américains accusés de viol déclarèrent avoir été ivres au moment des faits.

Le relèvement des corps et les cimetières mémoriaux

Les services des armées estiment que de 10 à 15 % des soldats tombés en France entre 1939 et 1945 seraient encore disparus ou non identifiés. Les politiques de relèvement des corps ont divergé selon les nations. En Europe orientale des associations mettent sur pied des campagnes de recherche des corps de combattants de toutes nationalités tombés sur le front de l’Est.

Pêcheurs d’épaves

Les épaves ont obtenu le statut d’objets patrimoniaux après que l’on ait pris conscience de leur disparition massive comme témoins du conflit. La bataille du ciel sur le front de l’Ouest s’est soldée côté allié par la perte de 60 000 appareils. Les épaves de l’Océan Pacifique font l’objet d’un trafic international de pillage. Il faut aussi mesurer que dans l’hémisphère nord de nombreuses épaves sont de véritables bombes à retardement car certaines ont toujours leurs réserves de carburant en quantité bien supérieure à la pire des marées noires.

La destruction de masse

Il s’agit de faire resurgir des matériaux inédits utiles à la mémoire du conflit. Hambourg subit en juillet 1943 une attaque sous formes de bombes incendiaires. Elles furent à l’origine d’un immense brasier couvrant plus de 21km2 avec des températures supérieures à 800 degrés. En Italie, un million de bombes furent larguées dont 8 à 10 % n’ont pas explosé. Vincent Carpentier relève aussi qu’aucune investigation archéologique n’a été menée dans les ruines d’Hiroshima ou Nagasaki.

Les lieux d’internement des prisonniers de guerre

Ici encore plus qu’ailleurs l’archéologie a son rôle a jouer car la plupart des camps une fois abandonnés ont été reconvertis et sont donc devenus invisibles. L’internement des prisonniers est mieux documenté que celui des civils dans les archives. De nombreuses investigations sont menées en Pologne avec notamment le phénomène des inscriptions gravées sur les troncs d’arbres. 

L’internement des civils

En Asie du Sud-Est, 350 000 homme sont été réduits en esclavage et ont été affectés notamment à la construction d’une ligne de chemin de fer reliant la Birmanie à la Thaïlande. L’ouvrage évoque également la prostitution forcée en Asie. En Europe, les études archéologiques sur l’internement des civils se sont développées en lien avec la guerre civile espagnole. Le livre offre un panorama européen qui passe par la République tchèque, la France  ou encore l’Allemagne.

Archéologie des crimes de masse et de la Shoah

Plus de la moitié des victimes du nazisme ont été exterminées dans des camps, en grande majorité dans six grands centres de mise à mort spécifiquement construits par les nazis en Pologne. Vincent Carpentier examine plusieurs camps comme Belzec, Auschwitz ou Chelmno. Le camp d’extermination de Sobibor resta enfoui jusqu’à la création, dans les années 60 et sans fouille préalable, d’un premier ensemble mémoriel.

En conclusion, Vincent Charpentier revient sur ce qu’il nomme « le creuset bouillonnant du passé ». En dépit de sources nombreuses, des béances subsistent. Il est indispensable de protéger les sites et de transmettre les savoirs. Le patrimoine de guerre, jugé inesthétique, est encore trop souvent délaissé. Il faut donc fouiller, inventorier et étudier les traces avant qu’elles ne disparaissent.

Cet ouvrage permet donc de tracer un bilan très complet des apports de l’archéologie à la connaissance de la Seconde Guerre mondiale. Il offre notamment des éclairages sur la guerre du Pacifique et restitue bien les différentes sensibilités selon les pays. Un ouvrage à conseiller.