Cet ouvrage s’intéresse au thème de la guerre de façon très contemporaine à travers le parcours et les réflexions de six photographes. Dans l’introduction, Yves Gacon rappelle quelques éléments de chronologie, et notamment le point de comparaison que représente la guerre du Vietnam, c’est -à-dire une guerre où les photographes étaient au coeur du conflit. L’ouvrage s’intéresse donc à six itinéraires, mais les photographies proposées puisent de façon plus large dans le fonds documentaire de l’AFP. Plusieurs photographies pourraient être utilisées dans le cadre de l’enseignement d’éducation civique, juridique et sociale en 1ère.
Pourquoi devenir photographe de guerre ?
Après une présentation succincte de chacun des photographes, le livre les invite à réfléchir à leur histoire. Dans chaque chapitre, alternent donc les réflexions des six protagonistes avec les propos d’Yves Gacon. C’est la diversité qui frappe dans leur parcours, entre ceux qui, comme Patrick Baz, se sont retrouvés très tôt au coeur des conflits, à savoir Beyrouth, et d’autres qui ont découvert la photographie par le cadre familial. Parfois, tout cela a commencé en rêvant devant les stars de Cannes.
Vivre et photographier la guerre
Le livre fait la part belle aux témoignages. On ne sera pas surpris de lire qu’il faut être calme, neutre, mais, au-delà, les photographes ont acquis des réflexes qui peuvent être synonymes de survie. Au milieu d’un conflit, un sac de sable peut protéger, mais pas un parpaing de ciment. Ils ont aussi appris comment marcher aux abords d’un champ de mines. Ajoutez à cela l’oreille et l’instinct pour avoir une chance de revenir vivant. Aucun des photographes interviewés ne donne l’impression d’être une tête brulée prêt à tout. Comment voient-ils le risque ? Patrick Baz confie : « J’ai peur avant et après. Sur le moment je n’ai pas peur. Ta photo ne vaut pas une vie, c’est la seule règle qui vaille ».
Le livre ne fait pas des photographes des êtres sans sentiment et explique l’impact que les conflits peuvent avoir sur eux. Photographier la guerre ne laisse pas indemne. Annie Thomas témoigne de la période du génocide des Tutsis en quelques mots simples mais clairs. Elle se sent « coupable …de ne pas avoir su écrire dès le début qu’on avait affaire à un génocide, parlant dans les premiers jours de massacres interethniques récurrents… ». Un hommage est rendu à la fin du livre à plusieurs photographes et membres de l’AFP morts en exerçant leur métier.
Au plus près de l’action
Ce chapitre revient sur la guerre du Vietnam et rappelle quelques grands noms des reportages de guerre de cette époque, comme Gilles Caron mort au Cambodge. Le fait essentiel, c’est que le contrôle de la part des armées est de plus en plus important. Les Etats-majors verrouillent la communication et les accès. La dialectique est simple : les militaires vivent dans le secret et les journalistes dans la révélation de ceux-ci ! L’ouvrage revient sur la notion de journalistes embarqués apparue depuis vingt-cinq ans environ. Sans angélisme, Yves Gacon rappelle quelques règles de ce donnant-donnant. Pourtant, certains reporters photographes de guerre sont contre ce système et s’intitulent eux mêmes des FTP c’est-à-dire Fuck The Pool !
Dans ces rapports entre photographes et militaires, Yves Gacon souligne aussi ce qui peut émerger d’une relation de proximité quotidienne. Il y a parfois d’incroyables ratés, comme ce cliché de 2003 où l’on voyait, quelques heures avant son déclenchement, la carte et le plan d’attaque de l’armée américaine à la une des journaux en arrière plan d’une photographie !
La bonne photographie
C’est une question souvent débattue. L’auteur dit bien qu’il ne s’agit pas seulement de technique. Une bonne photo, c’est celle qui peut aussi avoir un impact sur la société. Une « bonne photographie raconte une histoire, montre l’action, en suggère les conséquences. Elle est aussi informative et ne doit pas céder à l’esthétisme » : redoutable et très complète définition. L’auteur s’arrête sur les à-côté d’une image célèbre, celle de Bernard Kouchner déchargeant du riz en Somalie. Il souligne que cette photographie l’a plutôt desservi. Cela reste à prouver et nécessiterait peut-être qu’on distingue des temporalités. En même temps, cette photographie est sans doute restée dans bon nombre de mémoires. A la fin du livre, Yves Gacon propose un tour d’horizon de quelques photographes primés de l’AFP, récompensés donc pour leurs « bonnes photos ».
Quelles évolutions récentes du métier ?
Le métier se déploie aujourd’hui dans de nouveaux espaces comme en témoigne l’émergence des émeutes urbaines. Le livre souligne combien la frontière devient ténue entre émeutes urbaines et guerre. Le livre s’arrête sur la situation en Ukraine en 2014. Il évoque les stages proposés par l’AFP en liaison par exemple avec le GIGN pour mieux préparer les reporters. Parmi les dangers récents auxquels ils doivent être préparés, il y a l’enlèvement. D’autres changements sont en cours et notamment techniques : « matériels et transmissions sont plus performants ». Le numérique a favorisé la multiplication des sources photographiques, mais peut-on réellement parler d’un photo-journalisme citoyen ?
Le livre aborde quelques interrogations de toujours sur la fascination de la guerre : photographier la guerre relève-t-il du sensationnalisme, du voyeurisme, de la volonté de témoigner pour l’histoire ? Le statut de la photographie de guerre a en tout cas changé : elle est devenue objet d’exposition, oeuvre d’art. Etrangement, le livre se termine par un brusque retour en arrière en évoquant la guerre de Crimée comme point de départ des débuts de la photo de guerre.
On peut enfin souligner que le format du livre permet aussi de profiter de ces clichés. En choisissant d’entrer par six itinéraires de photographes, cet ouvrage richement illustré propose un tour d’horizon intéressant sur un métier, ses évolutions et notre époque.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.