S’appuyant sur les travaux universitaires les plus récents, Pierre Milza livre une biographie équilibrée de Pie XII un des papes les plus controversés du XXe siècle en raison de son silence à l’égard de l’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale.
S’appuyant sur les travaux universitaires les plus récents, Pierre Milza livre une biographie équilibrée de Pie XII un des papes les plus controversés du XXe siècle en raison de son silence à l’égard de l’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale.

C’est en spécialiste de l’Italie, et non en spécialiste de l’Église, que Pierre Milza aborde la personnalité et l’œuvre d’Eugenio Pacelli (1876-1958), devenu pape le 2 mars 1939. Le contexte italien et surtout romain dans lequel évoluent le futur souverain pontife et sa famille y est particulièrement bien mis en valeur. L’auteur livre notamment quelques éclairages bienvenus sur l’enfance et l’adolescence de Pie XII. Au passage, il rabote le mythe selon lequel Eugenio Pacelli aurait, depuis l’enfance, connut une trajectoire rectiligne vers la prêtrise et les plus hautes fonctions de l’Église.

Suivant en cela l’historien de l’université du Latran, Philippe Chenaux, premier biographe du pape en 2003, Philippe Chenaux: Pie XII, diplomate et pasteur, Paris, Cerf, 2003., il montre que la formation exclusivement juridique et diplomatique de Pacelli a considérablement pesé sur son positionnement à l’égard du nazisme et du fascisme, en particulier pendant la Seconde guerre mondiale. Eugenio Pacelli entre en effet très tôt au service de la diplomatie vaticane comme minutante (secrétaire) et devient rapidement un des plus fidèles collaborateurs du cardinal secrétaire d’Etat Pietro Gasparri qui dirige la diplomatie du Saint-Siège de 1914 à 1933 : le futur pape joue notamment un rôle majeur dans la rédaction du nouveau code de droit canonique (1917) et dans la mise en œuvre de la politique concordataire, pierre angulaire de la politique extérieure du Saint-Siège dans les années vingt et les années trente : conduite par Benoît XV et son successeur, Pie XI, elle vise à codifier les rapports entre spirituel et temporel afin de préserver les droits de l’Eglise et des catholiques. C’est dans ce contexte que sont signés les accords de Latran en 1929 avec l’Italie de Mussolini et le concordat avec le Reich allemand le 20 juillet 1933 que Pacelli supervise en tant que Secrétaire d’Etat. En 1930, le futur Pie XII a en effet été rappelé à Rome pour succéder au cardinal Gasparri à la tête de la diplomatie pontificale. Cette nomination met fin à un séjour de treize années en Allemagne où il a successivement exercé les fonctions de nonce apostolique en Bavière, puis celle de nonce apostolique auprès de la République de Weimar à Berlin. Ce fut l’occasion pour lui de nouer des liens étroits avec l’épiscopat allemand et d’assister à la montée du nazisme.
Le 2 mars 1939, le cardinal Pacelli est élu pape alors que les menaces de guerre s’amoncellent. D’emblée, il tente par tous les moyens à sa disposition (prises de position publique, proposition d’une conférence de paix) d’éviter à l’Europe un nouveau conflit et une fois la guerre déclarée, de le circonscrire le plus possible, notamment en empêchant l’Italie d’entrer en guerre. En vain. C’est également le souci de mettre fin à la guerre qui explique le rôle étonnant, en regard de sa prudence habituelle, qu’il joue dans une tentative de complot contre Hitler : il a en effet servi d’intermédiaire entre la Résistance allemande qui voulait s’assurer que l’Allemagne serait traitée équitablement en cas de renversement du Führer, et par conséquent, de défaite du Reich, et les Alliés. L’attaque de la France mit un terme définitif à ce projet.
Comme beaucoup de biographes de Pie XII, Pierre Milza consacre une part importante de son travail à la réserve adoptée par le souverain pontife pendant la Seconde guerre mondiale : dès le début des hostilités, alors que les Polonais, catholiques, sont victimes des exactions nazies, le souverain pontife choisit de ne pas fulminer et se contente de deux allusions à la situation catastrophique de la population polonaise sans nommer les responsables des crimes perpétrés. Lorsque des informations concordantes sur la mise en œuvre du génocide parviennent à Rome, il conserve cette impartialité. Milza explique cette attitude par une inclination naturelle de Pacelli au compromis – il n’aimait pas les conflits – et par la crainte d’affaiblir l’Allemagne devant le communisme qui représente, selon certains dignitaires de l’Église de l’époque, un danger plus grand que le nazisme. L’historien privilégie cependant un autre argument : la crainte des représailles pour les catholiques, en particulier pour les catholiques allemands. Pour éviter des maux plus grands, le souverain pontife choisit en effet d’accorder la priorité à la diplomatie qui s’active en coulisses pour atténuer les souffrances des victimes du conflit, au premier rang desquelles on trouve les juifs.

Le silence de Pie XII

Pour Milza, – et en cela, il suit la très grande majorité des historiens de la question -, le silence de Pie XII sur l’extermination des juifs ne résulte donc en aucun cas de l’antisémitisme, même si, en homme de son temps, il était imprégné de préjugés antijuifs multiséculaires dont témoigne le brouillon d’une encyclique sur le racisme et l’antisémitisme commandée par Pie XI à la veille de sa mort Cf. Georges Passelecq, Bernard Suchecky, L’encyclique cachée de Pie XI. Une occasion manquée de l’Église face à l’antisémitisme, Paris, La Découverte, 1995.. Si le sort des Juifs n’était nullement une priorité pour le Vatican, le souverain pontife a néanmoins utilisé les armes à sa disposition pour aider les persécutés : lors de la rafle de Rome le 16 octobre 1943, il mobilise sa diplomatie pour mettre un terme aux rafles. Si le millier de juifs raflés ne sont pas libérés – la plupart sont gazés dès leur arrivée à Auschwitz -, il n’y aura plus à Rome de rafles systématiques. Surtout, il lève la clôture des couvents romains, ce qui permettra à bon nombre de juifs de la capitale italienne d’échapper à la déportation. Milza rapporte également les pressions diplomatiques exercées sur les gouvernements des pays satellites de l’Allemagne (Slovaquie, Roumanie, Hongrie) ou sur les autorités d’occupation en Italie pour atténuer les persécutions.
Comme dans de nombreux travaux sur Eugenio Pacelli, la question de ses silences pendant la Seconde guerre mondiale est au cœur de cette biographie. Il est significatif à cet égard que la période de la guerre occupe un tiers de l’ouvrage tandis que les treize années suivantes du règne (1945 à 1958) ne font l’objet que de courts chapitres. Or, cette période est fondatrice pour l’histoire de la papauté et de l’Eglise. En pleine Guerre Froide, Rome condamne en effet les initiatives pastorales et intellectuelles les plus fécondes, dont beaucoup seront à l’honneur lors du concile Vatican II (1962-1965). Il est également significatif que, de ces six années de guerre, Milza retienne essentiellement les aspects politiques et diplomatiques du pontificat, la dimension pastorale et religieuse étant presque totalement ignorée. Il est vrai que les sources disponibles invitent à cette lecture politique de la période : les archives de Pie XII n’étant toujours pas ouvertes, les historiens fondent leurs travaux sur les documents diplomatiques allemands, américains, britanniques accessibles depuis le milieu des années soixante et sur les 11 volumes de documents diplomatiques issus de la Secrétairerie d’Etat sélectionnés par quatre éditeurs jésuites à la demande du pape Paul VI et publiés par le Vatican de 1965 à 1981.

Cette troisième biographie de Pie XII après celle de Philippe Chenaux (2003) et celle d’Andrea Tornielli (2007) Andrea Tornielli, Pie XII, Perpigna, Jubilé/tempora, 2009. Ed. it. en 2007., s’inscrit dans un mouvement historiographique discrètement ou explicitement favorable au pape de la Seconde guerre mondiale. L’ouvrage prend en effet le contre-pied d’un mainstream historiographique très critique qui a longtemps prévalu à la fois dans la mémoire collective et dans l’historiographie Depuis la pièce de théâtre de Rolf Hochhuth, Le Vicaire, joué à Berlin en 1963 et ensuite dans toutes les capitales européennes et aux Etats-Unis. Cette pièce avait suscité à l’époque une polémique d’ampleur mondiale. Nourris par la divulgation de documents inédits et de témoignages nouveaux, plusieurs ouvrages présentent en effet depuis une dizaine d’années, dans un retour de balancier assez classique, une image plus équilibrée du pape et de son action pendant la guerre. C’est le cas de Pierre Milza qui conclut, à la suite de l’historien d’Aix-en-Provence Jean Chélini, à un non-lieu pour Pie XII dans le procès qu’on lui a intenté pour ses silences pendant la guerre.