L’actualité récente rappelée a rappelé de manière violente que l’islam politique, loin de se cantonner à une zone géographique lointaine, a fait comme le nuage de Tchernobyl, il ne s’est pas arrêté à la frontière française et il tue.

L’auteur du dictionnaire des islamismes (le pluriel est central) qui vient de paraître aux éditions du Cerf, Amélie M. Chelly ne saurait être taxée d’opportuniste pour sa publication. Sociologue, spécialiste de l’Iran et politologue du monde musulman contemporain, chercheuse associée au CADIS (EHESS – CNRS), en charge du cours de relations internationales à l’IPG Dauphine, Amélie M. Chelly est par conséquent une spécialiste connue et reconnue du monde musulman et de ses diverses problématiques.

I, Pallier un déficit

Dans une brève introduction elle présente les motivations qui ont présidé à la rédaction de ce dictionnaire : une conversation avec l’aumônier d’une prison belge dans laquelle était incarcéré un soi-disant repenti, et la manière dont il fut découvert. De la émergea une prise de conscience, l’absence de connaissance du grand public des termes et concepts qui animent l’idéologie islamique. C’est ainsi qu’elle propose aujourd’hui au grand public de se familiariser avec la terminologie, la rhétorique, les idées, les notions, les courants politiques et idéologiques de ce courant englobé sous le terme générique d’islamisme et de comprendre les notions et enjeux liés à l’islam politique. Ce dictionnaire très utile peut être consulté par le lecteur au gré de ses interrogations. Chaque terme est resitué dans un temps long et sa généalogie intellectuelle et historiques afin d’en saisir le sens et les divers questionnements qui y sont liés.

II, Expliciter des termes complexes et mal-connus

Les termes connus du grand public sont bien entendu abordés :  telles que le service, loin même encore la question de l’antisionisme musulman, les grands courants politiques également avec en tête de liste, le GIA, Shariah4, DAESH (15 pages), qualifié d’« enfant terrible d’Al Qaïda en Irak » et Al Qaïda qui a droit à 17 pages de développement. L’auteur revient sur les trois aspects fondamentaux de ces mouvements : leur historique, leur stratégie, et leur idéologie. Les Talibans font bien sûr l’objet d’une entrée et d’une analyse de leur retour au pouvoir en 2021.

Bien entendu, les termes qui font l’objet de polémiques récurrentes ne sont pas oubliés. Ainsi la question de l’antisionisme musulman est abordée ainsi que le djihad, traité sur une dizaine de pages et bien entendu … le voile. L’auteur souligne d’abord les divers termes par lequel il est désigné (abaya, niqab, tchador…) chacun relevant d’une réalité socioculturelle différente qui dépasse parfois la seule réalité de l’islam, le voile faisant partie de ces vêtements traditionnels qui ont été réinvestis par l’idéologie islamiste et ses relectures politiques qui concernent autant l’Orient que l’Occident.

Amélie M. Chelly rappelle simplement mais concrètement la lecture faite du corps des femmes qui justifie son port obligatoire. Le mal n’est pas dans le regard de l’homme mais dans l’objet de convoitise que représente la femme (page 439). L’auteur ne sombre jamais dans le jugement lapidaire et définitif et rappelle, en synthétisant les trois approches liées au port du voile chez les femmes, oh combien la question du voile est complexe mais ne saurait être ramenée à sa seule dimension traditionnelle.

Les structures et courants idéologiques font l’objet d’entrée tels que les gardiens de la révolution d’Iran, abordés sur 18 pages. D’autres notions ou termes moins connus voire inconnus du grand public tels que le Coran de sang rédigé sur la demande de Saddam Hussein, sont expliqués et éclairent au combien une bonne partie de l’idéologie islamiste, de même que les sourates du Coran qui ont été récupérées et détournées telles que la 48ème sourate nommée Al Fath (la Victoire éclatante).

Ainsi sont présentées la Bid’a (qui condamne l’innovation) ou encore l’entrée concernant le terme jahiliya, l’ignorance et la manière dont la définition a été détournée, passant de l’absence de savoir à la désignation de la mécréance et de l’individu qui s’est éloigné de l’Islam prétendu authentique, ce qui amène à la tawba (le repentir) et justifie in fine le djihad. Au final chaque entrée, loin d’être cloisonnée, fait sens et trouve son lien les unes avec les autres.

Si aucune entrée n’est consacrée aux grands théoriciens de l’islam politique et à ses animateurs pour autant ils ne sont absolument pas oubliés dans chacune des notices, que ce soit les plus connus (Seyyed Qotb, Ben Laden, al Zarqaoui …) ou les moins connus du grand public tel que Ibn Taymiya, théologien syrien de la fin du XIIIe siècle qui expliquait qu’on pouvait dépasser certaines règles islamiques au nom du principe jugé supérieur de lutte pour la victoire de l’islam (page 489). Quelques lieux centraux pour l’islamisme sont abordés comme la mosquée Al Aqsa. Mention spéciale pour la notice consacrée à la fameuse secte des Assassins et à la manière dont l’un des recruteurs de l’État islamique, Omar Omsen, a instrumentalisé des images du jeu Assassin’s creed pour parvenir à ses fins (p. 134)

Amélie M. Chelly fait la part belle aux documents-sources traduits, au courant mais aussi plus largement et par extension aux slogans politiques, aux sermons, aux lettres de kamikazes… L’écriture fluide, scientifique et rigoureuse offre ainsi une excellente synthèse permettant à un large public désireux de « savoir » d’aborder les différentes notions que recouvre l’islamisme, les profondes distorsions qu’il a opéré de l’islam, et sa haine structurelle de l’Occident en général. A sa façon, l’ouvrage contribue à lutter contre l’ignorance, le relativisme, les postures (peut-être ?) et son instrumentalisation idéologique par les extrêmes et pas seulement islamistes.