Pinard de guerre ! Titre à nul autre pareil pour un voyage dans les tranchées en compagnie de la dive bouteille. Le duo Pelaez – Porcel (Dans mon village on mangeait des chats, 2020) s’est remis au travail pour livrer ce premier tome aussi surprenant que captivant.
Aborder la Première guerre mondiale en BD peut vite tourner à l’exercice fastidieux pour qui passe après Tardi entre autres. Toutefois, ces dernières années ont apporté des angles originaux pour traiter ce méga événement, en témoignent l’excellente série La guerre des Lulus (Hardoc et Hautière), ou encore ce Pinard de guerre. Car, s’il s’agit d’une histoire d’hommes, il y est également question de vin. Rouge comme le sang des poilus. Un vin qui enivre les soldats avant de se jeter dans le no man’s land, mais aussi le vin qui enrichit l’homme autant qu’il corrompt l’âme. De ce point de vue, Tirancourt le héros apparaît d’abord comme une diabolique incarnation, avant de se métamorphoser et de passer pour le bon méchant en quelque sorte, quand l’injustice militaire s’abat sur ses épaules.
La gouaille des tranchées
Au-delà, Pelaez le scénariste s’est attaché à déployer le parler des tranchées et celui du peuple de l’époque, gouaille chaleureuse où nous retrouvons l’indéboulonnable singe (bœuf en conserve), les furieuses abeilles (balles) et autres suriner (frapper à coups de couteaux) dans la bouche de ses personnages. La figure de Tirancourt, centrale, donne à voir un homme aux mille facettes, tout à tour gentleman-arnaqueur, ancien de la coloniale en Extrême orient et pour finir ce premier album, bagnard en partance pour Cayenne. Cette dernière caractéristique renvoie à un autre aspect plaisant de cette BD, à savoir sa dimension impériale, confirmée par le tome 2, Bagnard de guerre (à paraître), qui se déroulera en Guyane française.
Par ailleurs, on pourrait croire que seuls les combattants français ont été pris pour cible par Pelaez. Non ! Quelques incursions bien dosées dans les boyaux boches et dans la langue de Goethe rappellent la proximité physique et sociale des combattants. En revanche, contrairement à d’autre ouvrages traitant du même conflit, les auteurs ont choisi de ne pas représenter trop crûment la brutalité extrême de la guerre et l’ont davantage suggérée.
Un dossier historique de qualité
La partie graphique assurée par Porcel se démarque par une mise en page libérée très agréable. Le dessin est de qualité inégale, certaines ambiances sont très bien rendues (la nuit dans les tranchées, le passé de Tirancourt), mais d’autres cases paraissent avoir été exécutées avec moins d’envie.
Enfin, l’ouvrage se referme sur un bon dossier historique de huit pages signé Pelaez éclairant les enjeux liés au vin au cours de la Grande guerre. Quelques chiffres, les thèmes du commerce et de la consommation, des représentations et des anecdotes viennent ainsi nuancer la place de ce compagnon liquide, aussi intimement lié aux poilus qu’au pays qu’ils défendaient.
Présentation de l’éditeur :
https://www.angle.fr/bd-pinard-de-guerre-tome-1-9782818979136.html
Sur le même sujet, je vous recommande deux des nouvelles publiées dans le recueil « Dans les boyaux », tout juste paru chez L’Oiseau parleur.
La nouvelle éponyme « Dans les boyaux » parle avec truculence et émotion du ravitaillement et de la nourriture dans les tranchées.
« La vigneronne » parle de la production du vin dans l’Aude, du travail dans les exploitations en l’absence des hommes partis au front, de la place que prennent les femmes dans la vie sociale et économique et comment cela trouble les « mâles », inquiets de perdre leur statut de pater familias.
Bien cordialement,
Xavier Lhomme
auteur