La première version de l’Ulysse de Hugo Pratt est publiée dans le périodique Il Corriere dei Piccoli et date de 1962 avec des textes de Franca Ongaro Basaglia.
La nouvelle version publiée par Casterman comporte des textes de Fabrizio Paladini et de Marco Steiner.
L’Odyssée est un nostos, un récit de retour, celui du héros éponyme au titre du poème, Ulysse.
L’adaptation qu’en font les auteurs, servie par le très beau trait de Pratt, comporte plus d’une particularité. Des choix sont faits qui consistent à ellipser certains épisodes, à l’instar de celui des sirènes. L’accent est mis sur le désarroi d’un Ulysse avant tout désireux de rejoindre sa patrie, un Ulysse étranger à lui-même dont les aventures se lisent principalement au prisme de sa tristesse et de la nostalgie des siens.
Un très beau récit sur la filiation
La narration, de manière originale, est quasi duale, mettant en avant tantôt Télémaque, tantôt Ulysse. Télémaque part en quête du père trop longtemps disparu et sa geste répondra d’une certaine façon à celle d’Ulysse.
Poussé par Athéna, il s’insurge contre les prétendants au trône d’Ithaque et passera de Pylos à Sparte comme son père est passé de Charybde en Scylla. Il en ressort aussi un très beau récit sur la filiation : celle qui unit Ulysse à Télémaque mais également Ulysse à son père Laërte, ainsi qu’en témoigne l’extrait suivant (p.122-123) :
«Après cette nuit tant attendue avec Pénélope, je fis venir Télémaque et nous allâmes ensemble trouver mon père. Certaines blessures devaient être pansées, les fragments de cette longue douleur devaient être recomposés. Laërte était vieux, dévasté, hirsute, il sarclait sa terre, revêtu d’une misérable tunique rapiécée, et portait un chapeau en cuir qui lui tombait sur les yeux. C’était l’image d’un homme qui se laissait mourir avec dignité. Quand il me vit, il ne me reconnut pas. Avec lui aussi je feignis d’être un autre, je voulais ralentir le temps, le laisser me reconnaître tranquillement. Je lui parlai d’Ulysse et je vis un nuage sombre traverser ses yeux, il était certain que j’étais mort et se recouvrit la tête de poussière en signe de deuil. Je le fixai au plus profond de ses yeux et lui dis qu’il devait me croire, j’étais son fils. Je lui montrai ma cicatrice au genou, mais durant ces vingt années, son cœur aussi s’était endurci, comme celui de Pénélope, alors je lui fis le récit de l’époque où, enfant, j’avais appris le nom de tous les arbres de sa ferme: les treize poiriers, les douze pommiers, les quarante plants de figuiers. Il m’avait enseigné l’harmonie de la nature, cela avait été sa manière de me transmettre le sens du respect et l’équilibre des saisons. C’était là notre secret et au cours de ces sombres années, prendre soin de ce champ lui avait permis de survivre à la douleur. Maintenant, il en était sûr, son fils était de retour. Il s’approcha, il était fragile, je l’étreignis et il s’abandonna dans mes bras, l’émotion avait été trop grande».
Un album d’une grande beauté, dont la présentation et le mode de narration en font un objet rare. Plus prosaïquement, L’Ulysse de Pratt pourra servir de support dans le cadre d’une séquence de Grec ancien.
Grégoire Masson