Les éditions Montparnasse rééditent ce printemps un film documentaire de 2008, « Pour l’amour de l’eau », d’Irena Salina, primé en Inde et au Festival de l’Association des Nations Unies. On a beau dire que la géographie nécessite des données récentes, ce documentaire reste pourtant très pertinent, peut être parce qu’il se concentre plus sur les situations vécues que sur les chiffres. La réalisatrice pose sa caméra aux États-Unis, en Inde et en Afrique du Sud, ainsi que dans les bureaux d’entreprises internationales spécialisées dans le « water business » comme Suez ou Véolia. Le documentaire est à charge contre ces multinationales, mais sans caricature extrême. Il est même suggéré à un moment qu’une eau gratuite et accessible tous ne peut être qu’une utopie. On peut trouver dans ce documentaire trois « niveaux » de préoccupations face à l’eau, incarnés par les trois pays visités. Au plus « terre à terre », au plus proche des besoins vitaux et au plus poignant par moments se trouvent les scènes tournées en Afrique du Sud, où les compagnies internationales ont fait main basse sur les réseaux de distribution d’eau en déshérence. Sous couvert d’apporter une eau saine à tout le monde, les prix augmentent et apparaissent alors les premiers compteurs à carte prépayés. Pour bon nombre de sud-africains pauvres, l’accès à une eau saine et potable reste alors dans le domaine du luxe, et ils se rabattent sur les rivières insalubres, au risque de mourir de maladies liées à l’eau. Le fossé est extrême entre ces sud-africains incapables de payer leur eau et les représentants des compagnies internationales. Le face à face lors d’un voyage en bus entre les deux camps se termine par un dialogue de sourds.

En Inde la nécessité d’avoir une eau accessible et saine est aussi forte, mais les Indiens y apportent des solutions, notamment en récupérant les eaux de pluie ou en tuant les bactéries avec un système de chauffage solaire, pour une somme modique. A l’échelle locale ces expériences sont un succès, mais elles semblent sans suite, sans doute parce qu’elles ne sont pas assez rentables. Il existe des pressions extérieures, à l’image de ce qui arrive au chef de projet du village qui récupère les eaux de pluie quand le gouvernement lui dit que ces eaux « ne lui appartiennent pas ». On sent une volonté de faire payer l’eau, de ne pas la laisser gratuitement.

Aux États-Unis les préoccupations sont toutes autres. L’eau est accessible partout, mais la question qui obsède les étasuniens est « qu’il y a-t-il dans mon eau ? », et notamment dans les eaux en bouteille, qui font l’objet d’un trafic saumâtre où on embouteille tout et n’importe quoi, sans réel contrôle, avant de vendre le tout dans des bouteilles design et bien marquettées. On notera aussi le combat qui oppose les habitants du Michigan à la compagnie Nestlé, autorisée à pomper les rivières de l’État sans presque aucune contrepartie, aboutissant à un assèchement des cours d’eau et finalement a un procès intenté par les habitants du Michigan contre Nestlé. La force de la compagnie s’incarne dans la dureté du bras de fer judiciaire. Toutes les décisions hostiles à Nestlé font l’objet d’appels, et la compagnie ne lâche rien, tombant ainsi dans une sorte d’auto-caricature de multinationale. Certes, toutes ces préoccupations étasuniennes ont un côté très «not in my backyard », et certaines manifestations bon enfant prêtent à sourire, mais elles restent symptomatiques des enjeux liés à la gestion et à la distribution de l’eau.

Par son côté clair et explicatif, par sa retenue relative vis à vis des grandes multinationales, par sa mise en place d’une analyse des enjeux de l’eau liée à trois niveau de développement différent, ce DVD mérite en lui même une place dans un CDI. Nul doute que des collègues de 5ème ou de seconde sauront en faire bon usage.

Mathieu Souyris, collège de Trèbes, Aude.