L’ouvrage signé par Dénes Harai revient sur le parcours d’un personnage aujourd’hui oublié, Auguste II Galland (1572-1637), un protestant, serviteur loyal de Louis XIII, en particulier durant les années 1620, époque troublée qui voit les derniers soubresauts des guerres de Religion. L’auteur a exhumé un important gisement documentaire conservé à la Bibliothèque nationale de France.
Aux sources d’un itinéraire
Après une courte introduction qui rappelle les grandes lignes de l’histoire du protestantisme et de la politique religieuse des deux premiers Bourbons, la première partie adopte une facture biographique classique. Issu d’une famille bourgeoise de Tours dont une partie s’est convertie à la Réforme, Auguste II Galland hérite des emplois de son père, Auguste Ier, et succède à celui-ci dans les offices d’avocat général de l’ancien domaine de Navarre (1596) et de lieutenant du bailli de l’Arsenal (1599). En 1603, Auguste II est conseiller d’État et privé de Navarre. À la retraite de son père, il devient procureur général de l’ancien domaine de Navarre au parlement de Paris. Sous la régence de Marie de Médicis et après la proclamation de la majorité de Louis XIII, l’expertise juridique d’Auguste II Galland est reconnue auprès de la grande aristocratie, protestante comme catholique.
Commissaire du roi aux synodes nationaux
C’est surtout pendant les années 1620 que le rôle de Galland prend une nouvelle dimension. Le 17 avril 1623, le roi décide « qu’en toutes les assemblées qui seront tenues par nos subjects de la Religion prétendue réformée concernant les règlements et la discipline de ladite Religion, il soit par [lui] commis et ordonné, ou par les gouverneurs et [ses] lieutenants généraux en [ses] provinces, un de [ses] officiers de ladite Religion prétendue réformée, pour assister en icelles, afin de veoir et considérer s’il n’y sera traité et proposé autres affaires que celles qui leur sont permises par [ses] édicts et [lui] en faire un fidèle rapport ». Cette déclaration marque une césure. Si l’article 34 des particuliers de l’édit de Nantes (1598) avait soumis à l’autorisation royale les réunions des diverses institutions protestantes, un brevet signé d’Henri IV annulait cette disposition dès le 21 août 1599. La décision d’avril 1623 vient quelques mois après la promulgation de la paix de Montpellier (octobre 1622). La première guerre de Rohan a pris fin. Le roi a nommé deux députés généraux, chargés de représenter les intérêts des Églises réformées de France : Ésaïe du Matz, sieur de Montmartin, et Étienne Maniald. L’assemblée politique des réformés s’est séparée à la mi-novembre 1622. Aux yeux de Louis XIII, seules des affaires strictement religieuses peuvent être mises en délibération aux assemblées qui regroupent pasteurs et laïcs, à une échelle nationale (synodes généraux réunis tous les trois ou quatre ans), régionale (synodes provinciaux dont la session est le plus souvent annuelle) ou locale (colloques tenus deux fois par an). Des commissaires, spécialement délégués par le pouvoir royal, sont désormais chargés d’y veiller. C’est à Auguste II Galland, juriste reconnu, de confession protestante mais fidèle à la monarchie, que revient la tâche de représenter Louis XIII aux synodes nationaux tenus à Charenton (aujourd’hui Charenton-le-Pont, dans le Val-de-Marne), siège du temple des réformés parisiens, en 1623 et en 1631, et à Castres (actuel département du Tarn), en 1626. Galland assiste également aux synodes de la province d’Île-de-France (1625 et 1626). Son fils aîné, Auguste III, exerce les mêmes fonctions en 1627, en 1629 et en 1631, et se trouve au synode de la province d’Orléanais, tenu à Mer (Loiret) en 1630. Son cadet, Thomas, est présent dans cette dernière localité quatre ans plus tard. Entre 1623 et le milieu des années 1630, Auguste II Galland et sa famille apparaissent donc comme tout puissants.
L’action de Galland aux synodes de Charenton (le premier en 1623, le deuxième en 1631) et de Castres (1626) est présentée dès la deuxième partie et surtout au cours de la troisième, la plus fournie de l’ouvrage. En 1623, le commissaire doit faire face à une hostilité de la part des protestants. Ceux-ci regrettent la suspicion qui est jetée sur leurs assemblées, soulignent le caractère secret de certaines délibérations, avancent enfin des difficultés d’ordre logistique. Tout au long des sessions synodales (1er septembre-1er octobre 1623), Auguste II Galland exerce pourtant sa mission fermement. Il s’emploie à lutter contre toute ingérence étrangère dans les affaires des Églises réformées. Il entend aussi que les pasteurs n’aient aucune activité politique et se consacrent pleinement à leur ministère. Une documentation abondante permet d’avoir une idée précise du rôle joué par Galland au synode national tenu à Castres en septembre-novembre 1626. Le procès-verbal de l’assemblée signé par le commissaire en constitue la pièce maîtresse ; il est publié en annexe. Ce rapport, qui décrit également l’itinéraire suivi par Galland à l’aller et au retour de Castres, aurait mérité d’être plus finement confronté avec les actes du synode national, tels qu’ils sont connus par diverses copies ou à travers les éditions de John Quick (1692) et de Jean Aymon (1710). Les interventions du commissaire au cours des délibérations sont analysées en détail. Portant sur l’exercice du culte, sur la situation de quelques pasteurs ou sur l’accès au synode donné à divers requérants, elles sont à comprendre à l’aune d’un contexte particulièrement tendu, quelques mois après la promulgation de la paix de La Rochelle (février 1626). Les assemblées politiques ne sont plus autorisées. Paradoxalement, c’est au synode de Castres qu’il revient de participer au processus qui doit conduire à la nomination de deux nouveaux députés généraux des Églises réformées. Auguste II Galland est ici à la manœuvre. En septembre-octobre 1631, la situation s’est apaisée, près de trois ans après la fin du siège de La Rochelle, deux ans après la promulgation de la paix d’Alès et de l’édit de Nîmes. Au deuxième synode national de Charenton, les fonctions de commissaire ne sont plus vraiment contestées. Le pouvoir royal étend désormais son emprise sur la députation générale des Églises réformées. Le synode fait ainsi le choix de maintenir Henri de Clermont d’Amboise, marquis de Gallerande, en fonction depuis 1626, et de lui adjoindre Auguste III Galland, le propre fils d’Auguste II.
Quelle pensée politique ?
Entre les sessions synodales, Galland continue de servir Louis XIII. Ainsi, en 1627-1628, en pleine période de guerre avec les forces huguenotes, il est missionné par le roi en Languedoc. Comme le montre l’auteur, le succès de Galland est limité. Le bas Languedoc reste globalement fidèle au duc de Rohan, tandis que les principaux lieux réduits à l’obéissance royale en haut Languedoc ouvrent leur porte aux insurgés quelques mois plus tard, au printemps 1628. C’est précisément vers cette époque qu’Auguste Galland rédige deux mémoires à l’attention de Louis XIII, l’un s’intitulant Moyens pour conserver l’Estat en repos encores qu’il y ait deux religions différentes et l’autre portant pour titre Chose pour observer et entretenir estroittement pour le bien du royaume en l’estat que sont les affaires, deux documents reproduits en annexe de l’ouvrage. Le serviteur du roi dénonce les prises d’armes protestantes, tout en défendant sincèrement une coexistence confessionnelle durable, nécessairement assurée par la justice du roi. Galland peut ainsi affirmer : « La diversité des religions estant pour le repos des Estats tolérée et particulièrement l’étant en cestuy-ci, la continuation n’en doibt estre empeschée, de peur que le retranchement n’apporte nouveau subject de troubles ».
Au total, cet ouvrage a le mérite d’évoquer une période étrangement négligée par l’historiographie récente, si on excepte les travaux de Claire Martin sur l’ambassadeur Benjamin Aubery du Maurier, et de faire apparaître un acteur original, aux antipodes d’un Rohan ou d’un Soubise, figures bien connues de la rébellion huguenote. Outre les copieuses annexes, il comprend également un état des sources, une bibliographie succincte et un index. Les chercheurs et les passionnés du Grand Siècle y trouveront une matière abondante de réflexions sur l’histoire si complexe de la minorité réformée sous le règne de Louis XIII, après la restauration henricienne et avant les remises en cause louis-quatorziennes.
Luc Daireaux
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