Vous vous mélangez les pinceaux entre les différents courants de la sociologie urbaine française ? Eric Le Breton, maître de conférences en sociologie à Rennes 2, a pensé à vous en vous proposant une synthèse raisonnée des différents courants qui ont marqué cette époque.
L’auteur a eu le souci d’ordonner les auteurs et les producteurs de la sociologie critique en cinq courants de recherche aux effectifs et unités parfois discutables. C’est ainsi qu’il consacre une place à part à Henri Lefevre dans la généalogie des courants qu’il distingue : « Henri Lefebvre incarne à lui seul un premier courant. » Inspiré par la pensée marxiste, il lui apporte une touche personnelle dans les sept ouvrages de sociologie urbaine qu’il publie en moins de 10 ans. Au contraire des marxistes, menés par Manuel Castells, qui estiment que la ville n’est que le résultat des intérêts du capitalisme et de l’Etat qui lui est allié, Henri Lefebvre pense que le capitalisme industriel présente un danger pour la ville. Il veut croire à la mise en place d’une société urbaine émergente. Les marxistes constituent le groupe numérique le plus important de la sociologie critique des Trente Glorieuses. La société de consommation, l’urbanisation de la France leur offre du grain à moudre. Eric Le Breton fait une place à part aux « Cerfistes », c’est-à-dire « ceux qui ont abordé la ville dans la perspective conceptuelle développée au sein du Centre d’Etudes, de Recherches et de Formations Institutionnelles, le CERFI ». Menés par Michel Foucault, ils analysent la ville comme le résultat d’une « dynamique d’hyper-rationalisation de la société et de production de citoyens obéissants. » Ces trois courants ont comme point commun d’aborder « les réalités urbaines comme le produit historique de rapports de force entre acteurs sociaux. » Les deux autres courants distingués voient la ville sous un autre œil « celle de la production habitante de l’urbain. » L’analyse des rapports de force sont secondaires dans les deux dernières approches. Le courant mené par Paul-Henry Chombart de Lauwe cherche à comprendre comment les habitants créent et s’approprient leur environnement de vie. L’espace est un laboratoire de la société. Le dernier courant distingué par Eric Le Breton est désigné sous le terme de la sémiologie même si l’unité de ces travaux n’a jamais été affichée par ces chercheurs qui n’ont pas nécessairement travaillé ensemble. Malgré tout, ils voient la ville « comme univers signifiant et signifié par les habitants. » La ville est vue comme une langue.
La sociologie urbaine des Trente Glorieuses est donc multiple. Malgré tout, la posture critique adoptée est le point commun qui réunit les cinq courants. « Sociologie critique dans le sens où les questions urbains sont abordées à partir de la posture intellectuelle des pensées critiques qui se déploient au cours des Trente Glorieuses, à la confluence des Sciences Humaines et sociales et des débats politiques. » Tous ces courants partent du postulat que la société est structurée par des mécanismes de pouvoir et de domination. Pour eux, l’acteur individuel n’est pas autonome dans la société des Trente Glorieuses. Les travaux des chercheurs doivent orienter le changement social. Si La question urbaine de Manuel Castells, La poétique de l’espace de Pierre Sansot ou Le droit à la ville de Henri Lefebvre font aujourd’hui partie du panthéon des sciences humaines, la plupart des travaux de la sociologie critique sont aux oubliettes. Dans les années 1980, la sociologie s’oriente vers des travaux plus opérationnels, en lien avec l’aménagement. La sociologie urbaine s’attache désormais à des objets tels que les mobilités, l’environnement, les banlieues, le périurbain. La recherche est le reflet de son époque. Elle répond à un besoin. « Si la sociologie urbaine critique est radicale, son époque l’est autant, ces Trente Glorieuses sont « Trente furieuses » en matière de transformation des villes. »
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes