Il s’agit en fait pour les participants au colloque qui s’est déroulé à Saint-Brieuc le 9 juin 2010, dans le cadre des commémorations du 70e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940 et dont cet ouvrage publie les actes, « d’engager une démarche visant à poser des jalons pour une connaissance à la fois plus approfondie et plus largement partagée de ce qui reste un moment fondateur de notre histoire récente ». L’ouvrage rassemble onze communications de chercheurs et de spécialistes de l’histoire de la France Libre, portant sur des sujets d’études précis, et s’adressant à un public de spécialistes.La France Libre, un objet historique mal identifié
Patrick Harismendy constate dans un article intitulé L’inconnu de notre Panthéon que la France Libre a été négligée par les historiens qui se sont bien davantage intéressés à la Résistance intérieure, à la Déportation, à la Shoah, et à la Grande Guerre. Sur les 11 600 publications consacrées à la période 1939-1945 dans la bibliographie annuelle de l’histoire de France entre 1964 et 2001, seulement 9 % s’intéressent à la France Libre. Il déplore que bien des questions restent en suspens et attendent d’être l’objet de véritables recherches : les trajectoires individuelles ou celles de certains groupes, les femmes, les services non-combattants de la France libre ou bien encore la culture administrative pratiquée à Londres puis à Alger.
La vocation politique et militaire de la France Libre
Christian Bougeard propose quelques éléments d’une approche de l’histoire de la France Libre. Il s’efforce de la délimiter chronologiquement en montrant que si l’acte de naissance est évident : le 18 juin 1940, « la borne terminale de la France Libre et plus difficile à poser car il faut distinguer la dimension politique du mouvement de sa dimension militaire, tenir compte du lieu de résidence du général de Gaulle et des institutions politiques », allant du Comité national français créé à Londres le 24 septembre 1941 au Comité Français de Libération nationale installée à Alger en juin 1943. Sur le plan militaire, une date s’impose pour la clôture de l’appartenance à la France Libre dans le cadre de l’amalgame des armées françaises : le 31 juillet 1943. L’appartenance aux forces françaises libres (FFL) signifie avoir signé son engagement avant cette date dans les FFL, les FNFL (Forces navales françaises libres) ou les FAFL (Forces aériennes françaises libres). Les FFL ont compté 54 100 hommes dont 17 000 originaires de métropole, 4000 étrangers et de très nombreux indigènes des colonies. Il affirme qu’il convient d’insister sur la double nature de la France libre, sa vocation militaire et son action politique et estime que ce sont « la nature politique du mouvement et le rôle de son chef de ses collaborateurs à Londres qui ont été déterminants pour restaurer la souveraineté nationale de la France, lui permettre d’appartenir au camp des vainqueurs, et redevenir une puissance, certes moyen après la guerre. »
Retard historiographique
Christian Bougeard pose la question des sources de l’histoire de la France Libre. Pendant longtemps les historiens ont été tributaires des mémoires et des souvenirs des acteurs (Général de Gaulle, Jacques Soustelle, colonel Passy). Henri Michel, directeur du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale a publié les premiers ouvrages historiques sur le sujet dont un « Que sais-je » de 1950 qui fut réédité plusieurs fois jusqu’à ce qu’il soit repris et refondu en 1996 par Jean François Murraciole. Alors que l’étude scientifique de la Résistance intérieure a connu son essor dans les années 1970, il faut attendre 1996 pour qu’un acteur devenu historien, Jean-Louis Crémieux-Brilhac publie la première grande synthèse. Dans les années 1990, une équipe d’historiens universitaires, souvent issus du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale et travaillant dans le cadre de l’Institut d’Histoire du Temps Présent ont relancé l’étude de l’histoire de la Résistance intérieure, renouvelant les problématiques. Mais l’histoire de la France Libre n’a été abordée que très indirectement dans ce cadre. Il faut attendre 2010, pour que soit publié dans la collection « Bouquins » le Dictionnaire de la France Libre, quatre ans après le Dictionnaire de Gaulle et le Dictionnaire historique de la Résistance. La connaissance historique de la France libre a donc progressé grâce à l’ouverture des archives et à l’investissement de jeunes chercheurs. Mais des travaux restent à mener l’objet de ce colloque est d’ouvrir quelques voies
Pour une étude de l’engagement et de la répression des Français libres
Erwan Le Gall consacre sa communication à l’étude de l’engagement des Français libres. Il montre la nécessité de dépasser les clichés de la mémoire pour mieux cerner les Français libres. Ils remet en cause la mystique communément admise qui montre le Français libre sous un angle bien spécifique, celui d’un héros en rupture, uniquement mu par l’intérêt supérieur de la patrie et qui tend à le présenter, de manière simplificatrice comme un être apolitique. S’appuyant sur quelques parcours biographiques, ils met en évidence ce qu’il appelle des « logiques de carrière » et des « logiques de trajectoire » qui conduisent tel ou tel individu à s’engager dans la France Libre.
Utilisant un concept élaboré par l’historienne Alya Aglan dans sa thèse sur le mouvement Libération-Nord, il estime que l’image d’une structure formée de cercles concentriques rend bien compte de la politisation plus ou moins marquée des engagés dans la France Libre. Au centre, le premier cercle, celui des hommes de pouvoir installés à Londres puis à Alger autour du Général de Gaulle, dont l’engagement est politique, et qui sont informés des réalités diplomatiques. Un second cercle comprend les Français libres qui, aux ordres du premier cercle, sont envoyés sur les différents théâtres d’opérations. Ces combattants ont une compréhension plus parcellaire du conflit et leur engagement et moins politique. Enfin, à la périphérie de la structure, se trouvent au sein d’un troisième cercle, les comités de la France libre à l’étranger chargé de mobiliser les opinions publiques en faveur de la France. Leurs membres n’ont pas contracté d’engagement volontaire.
Thomas Fontaine étudie la répression des Français Libre dans le contexte global de la répression de la Résistance dans une communication intitulée : Des résistants dangereux. Jalons pour une étude de la répression des Français libres. L’auteur propose une très claire synthèse de l’évolution de la répression en France occupée et permet de mieux comprendre le sort réservé aux résistants arrêtés par les Allemands, dont on se demande souvent pourquoi l’un fut dirigé vers telle ou telle prison, l’autre vers tel ou tel camp de concentration, et un troisième, fusillé en France. Il montre que les autorités allemandes ont réservé un sort particulier à certains résistants, parce qu’elles les jugeaient plus importants et plus dangereux. L’occupant a donc établi, de fait, une hiérarchie entre résistants, selon ce qu’ils étaient, ce qu’ils représentaient et ce qu’ils avaient fait. Les Français libres sont considérés par les Allemands comme particulièrement dangereux et sont condamnés à mort ou déporté comme « NN ».
D’autres champs de recherche
Des articles très spécialisés investissent de nouveaux champs de recherche concernant la France Libre : la France Libre et le scoutisme (Jean-Jacques Gauthé), l’étude du personnel navigant des Forces aériennes françaises libres (Philippe Garraud), la naissance de la marine marchande de la France Libre durant l’été 1940 (Joseph Zimet), l’action combinée du deuxième régiment de chasseurs parachutistes et de la Résistance bretonne dans le dispositif stratégique de l’opération Overlord (Olivier Porteau), les bases radio des forces spéciales dans les Côtes-du-Nord à l’été 1944 (Yann Lagadec).
Comme le souligne Vincent Joly dans sa conclusion, « cet ouvrage offre de nouvelles perspectives pour des travaux à venir sur la France Libre ». Il s’adresse essentiellement à des chercheurs.
© Joël Drogland