Historien et petit-fils de résistant, Fabrice Bourrée est chef du département AERI de la Fondation de la Résistance. L’AERI (Association pour des études sur la Résistance intérieure), a été fondée en 1993 à l’initiative de Serge Ravanel et de quelques autres résistants, et est désormais intégrée à la Fondation de la Résistance. Il est aussi le responsable du Musée de la Résistance en ligne, ainsi que l’auteur et le co-auteur de plusieurs expositions virtuelles à découvrir sur le site de ce musée. Il fut l’une des chevilles ouvrières de la réalisation du DVD-ROM, La Résistance en Ile-de-France (AERI – CRR-IDF, 2004).  Fabrice Bourrée a bénéficié pour la rédaction de cet ouvrage de la collaboration de Frédéric Quéguineur, chargé d’études documentaires principal, qui fut responsable des fonds du bureau Résistance au Service historique de la Défense de 2013 à 2018. Fabrice Grenard, Directeur historique de la Fondation de la Résistance, en a rédigé la préface. Pour sa qualité et son utilité, cet ouvrage bénéficie du parrainage de la Fondation de la Résistance et du Service historique de la Défense.

Un ouvrage qui répond à une demande réelle

Nombreuses sont aujourd’hui les personnes qui cherchent à connaître ce que furent les actions de membres de leurs familles, engagés dans la Résistance ou dans la France libre. Qu’ils n’aient pas posé assez de questions, qu’ils se soient heurtés au mutisme de leur parent, ou qu’ils n’aient découvert qu’après sa disparition qu’il (elle) s’était engagé(e), ils ne savent comment s’y prendre pour reconstituer le parcours de résistance : Quand ? Où ? Dans quelle organisation ? Pour quelles actions ? Si la personne a été emprisonnée et déportée, de nouvelles questions se posent. Pour commencer leurs recherches, les personnes se tournent vers des associations, des musées locaux, des centres d’archives départementales, éventuellement des historiens qu’elles connaissent. Quand débute les premières recherches, avec les premières réponses, de nouvelles questions se multiplient.

Le professeur d’histoire qui décide de proposer à ses élèves de préparer sous sa conduite le Concours de la résistance et de la Déportation, et de constituer un dossier qui implique souvent de reconstituer des parcours de résistant, doit d’abord résoudre la question de l’accès aux sources, de leur consultation et de leur reproduction de manière à permettre à ses élèves de travailler sur des documents d’archives.

L’historien lui-même qui commence ses investigations dans le vaste domaine de la Résistance et de la déportation, se tourne vers plus expérimenté que lui pour bénéficier de ses conseils. Il consulte des sites spécialisés, apprend comment consulter les centres d’archives, bénéficie de l’accueil toujours bienveillant et compétent de leur personnel, et constate qu’il va devoir se tourner vers des lieux dont il ne soupçonnait pas toujours l’existence.

A tous ceux qui se sont trouvés ou se trouveront dans les cas ci-dessus évoqués, Fabrice Bourrée, fort de son expérience de chercheur, propose un guide qui va leur permettre de s’orienter dans les fonds d’archives, de rassembler de façon exhaustive les diverses informations qui existent, et de reconstituer les conditions et la nature des actions d’une femme ou d’un homme qui firent un jour, entre 1940 et 1944, le choix de l’engagement. On peut sans doute penser aussi, que nombreux seront les historiens habitués des recherches en archives qui découvriront à la lecture de ce guide un fonds auquel ils n’auraient pas pensé.

Le choix d’un plan thématique et d’une approche qui prend en compte la profondeur historique

L’ouvrage est construit en cinq chapitres, de longueur inégale compte tenu de l’inégale importance des sources, que complète un ensemble d’annexes (bibliographie, sites web et bases de données en ligne, archives collectives des réseaux conservées au SHD, adresses utiles etc.) Les deux premiers chapitres (près de la moitié de l’ouvrage) concernent les fonds d’archives constitués pour faire état des services d’un individu dans la Résistance, qui se trouvent au Service historique de la Défense (SHD), de Vincennes, Caen et Pau, aux Archives nationales, dans les archives départementales, dans les musées, bibliothèques, fondations, ou encore à l’étranger. Les trois chapitres suivants concernent les archives de répression et des lieux de détention des résistants, les archives de l’épuration et de la recherche des criminels de guerre, enfin les dossiers constitués en vue de la remise de décorations françaises et étrangères.

Les fonds du SHD, Vincennes, Caen et Pau, constituent le thème du premier des deux chapitres consacrés aux services dans la Résistance. L’essentiel concerne les dossiers d’« homologation » individuelle des services (sous-série GR 16 P), constitués au lendemain de la guerre. « Comme leur nom l’indique, ils avaient pour but de recenser les services dans la Résistance d’une personne pour lui permettre de bénéficier d’avantages (soldes, pensions, etc.) habituellement réservés aux combattants réguliers ». Ce fonds comprend environ 600 000 dossiers individuels totalisant 1500 mètres linéaires. « Ces dossiers permettent d’avoir un aperçu sur la personne concernée, de connaître l’organisation à laquelle elle appartenait, les noms de ses responsables… et permettent ainsi une ouverture sur de nouvelles pistes de recherche pour approfondir le parcours. » Ces dossiers sont ceux de femmes et d’hommes (principalement) qui s’engagèrent dans les Forces françaises libres (FFL), les Forces françaises combattantes (FFC), les Forces françaises de l’intérieur (FFI), la Résistance intérieure française (RIF) ou qui furent des Déportés Internés de la Résistance (DIR). Plus récemment versés au SHD et non encore complètement inventoriés, les dossiers des services secrets français, émanant du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) à Londres. L’auteur cite les cotes qui permettent de consulter ces dossiers et expose les procédures d’homologation et les nécessaires précautions de lecture. Il évoque aussi les fonds consacrés aux organisations de résistance, mouvements et réseaux, ainsi que ceux des Forces aériennes françaises libres (FAFL) et ceux des Forces navales françaises libres (FNFL). Des dossiers spécifiques concernent les passeurs qui permirent à de nombreuses personnes de franchir les Pyrénées. Au SHD de Caen se trouvent les dossiers des résistants victimes de la répression tandis que le SHD de Pau rassemble les archives du personnel militaire.

Le second chapitre fait l’inventaire des fonds qui sont aussi consacrés, ailleurs qu’au SHD, aux services dans la Résistance : aux Archives nationales, la sous-série 72 AJ qui rassemble les archives du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale et  la sous-série 3 AG 2, consacrée au BCRA ; dans les archives départementales, les dossiers constitués par les demandeurs de la carte de Combattant volontaire de la Résistance (CVR) ; dans les musées de la Résistance et de la Déportation  (dont près d’une vingtaine sont référencés) ; à La Contemporaine (ex BDIC à Nanterre) ; à la Fondation de la France libre. Sont ensuite présentées les archives de la SNCF et les archives étrangères, en particulier pour ce qui concerne les agents français du Special Operations Executive (SOE, qui avait de nombreux réseaux en France) et les Helpers : celles et ceux qui aidèrent les membres des équipages des avions alliés abattus sur le sol de France.

La seconde moitié de l’ouvrage guide le chercheur potentiel à travers des fonds d’archives auxquels il n’aurait peut-être pas pensé, surtout s’il n’est pas historien. La présentation de ces fonds s’accompagne des observations historiques nécessaires à leur compréhension. Sont d’abord présentées les archives des organismes de répression (que l’on trouve dans les archives de la préfecture de Police, mais pas seulement), les archives des tribunaux français de Vichy (Tribunal d’Etat, sections spéciales), et les archives de tribunaux militaires allemands siégeant en France (que l’on trouve au SHD de Vincennes et de Caen), les archives des lieux de détention en France (établissement pénitentiaires, camps d’internement), archives des camps et prisons allemandes (la Division des archives de victimes des conflits contemporains du SHD conserve à Caen 140 mètres linéaires de documents produits par l’administration des camps de concentration ou des prisons sous forme de listes, de fiches individuelles ou de registres), archives de Bad-Arolsen qui sont « uniques à la fois par leur volume (plus de 30 millions de documents, 26 km linéaires) et par leur contenu (le fichier central comprend 50 millions de fiches sur plus de 17,5 millions de personnes) ».

Sont ensuite présentées les archives de l’épuration (Archives des cours de Justice et des chambres civiques) et celles du service de recherche des criminels de guerre. Les dossiers d’instruction sont en effet riches d’informations diverses.

Le dernier chapitre, original et très illustré, traite des décorations françaises et étrangères. Les dossiers constitués pour leur obtention contiennent des renseignements, souvent ponctuels mais précis, sur les actions du résistant. Sont présentés les dossiers des médaillés de la Résistance : Croix de la Libération et médaille de la Résistance française, les dossiers des titulaires de la Légion d’honneur, ceux de la Croix de guerre 1939-1945, de la Croix du combattant volontaire 1939-1945, de la Médaille de la France libérée, de la Médaille des Evadés, de la Médaille de la Reconnaissance française. Parmi les titres et décorations accordés par des pays étrangers à des résistants français, sont présentés certaines décorations britanniques et les dossiers établis pour l’obtention du titre de « Juste parmi les Nations » par l’antenne française de l’Institut Yad Vashem.

Un guide qui est davantage qu’un guide

Il faut souligner la qualité de la mise en page et de l’iconographie.  Pour l’essentiel de son contenu, le livre est construit par doubles pages, chacune traitant d’un thème. Le texte articulé en paragraphes présente les fonds d’archives, donne les cotes des séries et sous-séries, les conditions matérielles de dépôt des demandes, éventuellement  les précautions méthodologiques dans l’utilisation des documents.

Beaucoup de documents sont reproduits en couleur et la méthodologie de leur lecture indiquée. Le chercheur peut ainsi appréhender exactement le type de document avec lequel il sera confronté. A cela s’ajoutent de petits encadrés insistant sur tel ou tel aspect particulier ou inattendu, ainsi que des photographies. La dimension pédagogique est constamment présente et ce guide est souvent un agréable livre d’histoire.

Les limites et les compléments nécessaires des orientations exposées

Fabrice Bourrée prend soins de signaler d’emblée les « logiques administratives ayant présidé à la constitution » des sources disponibles aux chercheurs. Il avertit celui qui va découvrir un fond d’archives, qu’il ne s’agit pas d’un trésor dans lequel il va pouvoir puiser pour tout apprendre, mais qu’il s’agit d’un document qui a été constitué dans un but particulier, qui peut mettre en valeur un aspect plutôt qu’un autre, qui a donc nécessairement besoin d’être croisé avec d’autres. Ainsi les dossiers personnels d’« homologation » des services de Résistance, parce qu’ils ont été constitués par l’autorité militaire, privilégient les engagements qui se rapprochent de plus de ceux des combattants réguliers. Des actions relevant de ce que l’on appelle la résistance civile y seront minorés, voire ignorés. Pour le même type de raison, au sein des dossiers de CVR, les femmes et les paysans sont sous-représentés et le chercheur aura intérêt à ne pas négliger les dossiers des « refusés ».

L’auteur insiste sur le fait que « l’exploration des dossiers individuels ne constitue que la première étape d’une recherche historique : outre le fait qu’il convient de croiser les dossiers entre eux et avec ceux des camarades cités par le résistant, ils ne prennent tout leur sens qu’avec en parallèle la lecture des ouvrage ou articles relatifs aux organisations à laquelle il ou elle a appartenu ». Il propose donc en fin d’ouvrage une bibliographie très spécialisée reflétant l’état des recherches sur les dossiers d’homologation, l’évolution du statut du résistant et le processus d’attribution des cartes CVR, les dossiers d’attribution du titre de Déporté ou Interné de la Résistance.

Après avoir pris l’exemple de Michel Guillerm dont il sait seulement au début de son enquête « qu’il avait été incarcéré à la maison centrale d’Eysses (Lot-et-Garonne) comme résistant et qu’il était décédé à Dachau à 20 ans », Fabrice Bourrée détaille les quatre étapes de sa recherche pour reconstituer le parcours de ce résistant : d’abord à Agen, puis à Poitiers, à Vincennes et enfin à Caen. Il expose ce que ses recherches dans ces quatre dépôts d’archives lui ont permis de découvrir, mais aussi ce qu’il n’a pu découvrir. Ainsi parvient-il à attirer l’attention du lecteur sur « les limites de la quête biographique ».

Un ouvrage utile, pratique, agréable, complet.

© Joël Drogland pour les Clionautes