L’année qui vient de s’achever a été riche en grands anniversaires pour Yves Coppens, figure majeure de la paléoanthropologie et par ailleurs grand passeur de sciences. Il y a aura fêté ses quatre-vingts ans, célébré les quarante ans de la découverte de Lucy et sans doute pensé aux trente ans de sa théorie de l’East Side Story sur l’apparition de l’homme en Afrique de l’est. Une dizaine d’année plus tard, il devait renoncer en grande partie à cette belle histoire, mais il en reste la conviction profonde que l’homme est apparu à la suite d’une modification du climat, ce qui a entraîné l’évolution rapide de certaines espèces de mammifères, et pas seulement les primates.
Ce rapport de l’histoire de l’homme à l’environnement et à son évolution est aux fondements de cet ouvrage. Comme les deux précédents livres parus aux éditions Odile Jacob, il s’agit d’un recueil de textes, le plus souvent des préfaces, associés pour faire sens. Mais cette mise en contexte est double : l’histoire de l’homme est replacée dans son environnement géologique, climatique végétal, ses paysages en quelque sorte. La dernière partie brosse le tableau d’un autre paysage : celui de la science, de son travail et de ses acteurs qui ont permis ces dernières décennies le foisonnement des connaissances dans ce domaine. Mais il ne s’agit pas de deux ouvrages simplement juxtaposés : les liens sont permanents entre les découvertes, les connaissances, et le monde scientifique qui les a mis à jour : le lien principal étant assuré par la figure de l’auteur lui même, grand acteur et témoin de cette aventure des sciences de l’homme.
Ecce Homo
Bien que le sujet de l’ouvrage soit l’environnement de l’homme et non l’homme lui-même, Yves Coppens débute par quelques textes qui retracent à grands traits les connaissances sur « l’habitant» : une pièce en deux actes située en Afrique tropicale qui fait apparaître les pré-humains il y a près de 10 millions d’années et homo il y a 3 millions d’années. Mais ces épisodes sont eux-mêmes inscrits dans une évolution générale, du big-bang à nos jours, dans laquelle la matière organisée est devenue vivante puis pensante et consciente d’elle même. Il y a un paradoxe entre cette histoire simple donnée par le conteur hors-pair qu’est Coppens et sa présentation de la complexité de cette évolution qui n’est pas linéaire mais en « bouquets » d’espèces ; celles-ci explorant par exemple plusieurs pistes pour répondre aux défis de l’évolution du paysage à la suite de l’assèchement du milieu.
Ecologies, Ecologie
Le mot est rarement employé chez Coppens aussi bien concernant son sens politique que son acception scientifique. Mais l’étude de l’apparition de l’homme, comme celle de la transformation d’autres espèces de mammifères ne peut se faire sans lien avec le milieu qui les entoure, ce que révèlent les dents des fossiles tout comme d’autres parties du squelette sans oublier les couches géologiques dans lesquelles sont contenues ces vestiges. Or cette étude des rapports entre l’homme et son environnement dans le passé, notamment ses gros « animaux de compagnie » (civilisations du mammouth, du renne, du phoque), conduit évidemment à une réflexion sur la situation actuelle : Yves Coppens rappelle qu’il a présidé la commission qui a produit la charte de l’environnement adossée à la constitution française il y a dix ans. Pour autant, même s’il rappelle que la liberté gagnée par l’homme par sa conscience et sa maîtrise de l’environnement s’accompagne d’une responsabilité vis-à-vis de celui-ci, il reste hostile à tout radicalisme écologiste et au catastrophisme. Il garde bon espoir dans la capacité de l’espèce humaine pour, une fois encore, progresser et s’adapter.
Ode à la science et aux technologies
Cet optimisme par rapport à l’homme s’accompagne d’une confiance et d’une admiration solide vis-à-vis de la science, des sciences : Yves Coppens est certes l’homme d’un domaine scientifique, la paléoanthropologie. Mais ce domaine, comme le suggère cet ouvrage tout entier, est par essence transdisciplinaire : géologie, zoologie, anatomie, botanique s’y mêlent pour reconstituer l’histoire de l’homme dans son milieu. Yves Coppens qui en a suivi l’évolution depuis plus d’un demi-siècle, retrace l’histoire de ce domaine des sciences. Voici une discipline où une science de cabinet, celle de l’analyse des fossiles et du classement, a rencontré une science de terrain, celle des fouilles. Dans les campagnes de fouilles, le chercheur isolé a été remplacé par des équipes de plus en plus copieuses et pluridisciplinaires, mais avec des gens de plus en plus spécialisés. Des technologies nombreuses ont accompagné la riche moisson en fossiles avec des méthodes de datation de plus en plus pointues : Yves Coppens se révèle dans ces pages aussi féru de technologies contemporaines que des méthodes de tailles du silex : là encore, il insiste sur la continuité humaine de la percussion des pierres au synchrotron. Mais ces techniques et ces connaissances sont portées par des hommes, ce qui donne l’occasion à l’auteur de fournir une galerie de portraits depuis Boucher de Perthes (1788-1868) qui,a la recherche de l’homme antédiluvien, posa certaines bases des sciences préhistoriques. La série de biographies s’achève bien sûr par un autoportrait, mais l’ensemble de l’ouvrage en constitue également un, façon puzzle.
L’ouvrage, malgré sa taille, se lit agréablement et relativement facilement. Quelques textes, qui préfaçaient des ouvrages très académiques, nécessitent de maîtriser un peu de vocabulaire spécifique. Mais chacun est servi par un esprit de synthèse toujours très efficace, du fait de leur format, et agrémenté par un art virtuose de l’anecdote. Pour nous qui enseignons des périodes bien plus tardives, l’intérêt réside dans le le regard humaniste sur l’ensemble de l’aventure humaine apporté par Yves Coppens : un humanisme justement élargi à la certitude que nous sommes tous issus de la même histoire et désormais dans la même barque.
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En images: Quarante ans de présence médiatique des origines de l’homme.
2014
Les Matins – Les conflits de l’écologie sont… par franceculture