Un ouvrage qui est au plus près du raisonnement du paléoanthropologue pour intégrer les dernières informations issues des fouilles de part le monde et des études génétiques. L’auteur Pascal Picq, Maître de conférences au Collège de France, spécialiste de l’évolution de l’Homme, des grands singes, des entreprises et des sociétés, définit son objectif : « L’ambition de cet essai est de cerner qui sera le dernier homme. Peut-on imaginer l’ensemble des générations futures réunies dans un nouveau projet humaniste universel comme on le vit à travers le mouvement des Lumières, poursuivant pour les millénaires à venir, ou verrons-nous surgir une autre humanité ? » (p. 14-15).

Pour répondre à ses questions, il interroge la coévolution homme/environnement depuis les premiers hominidés du foyer initial africain.

Il lui faut tout d’abord affiner ce qui caractérise le genre homo par contraste avec les Australopithèques pour aborder en cinq grands chapitre la question de l’évolution des « vrais hommes ».

Sébastien Coupez nous a proposé l’an passé une solide recension de la première édition

Ce que sont les hommes

L’homme commence à transformer le monde et s’adapte à différents écosystèmes, on parle dès lors de coévolution. La diversité des fossiles, toujours plus nombreux dans le monde, complexifie la question. Aujourd’hui on sait qu’à la même époque ont coexisté des espèces différentes, Néandertaliens et Sapiens, qu’ils ont échangé des gènes et des outils, une coévolution bio-culturelle. Dans ce premier chapitre Pascal Picq rappelle les grandes étapes de l’évolution de l’homo habilis à l’homo erectus. Il en présente les caractéristiques corporelles et l’environnement de vie et développe sa réflexion sur l’évolution, l’adaptation en comparaison avec les grands singes. Il montre les conséquences de l’évolution sur les activités (collecte et préparation de la nourriture) et les échanges. l’homo erectus ou homo ergaster, cet arpenteur des savanes dispose du feu, du langage, construit des abris. L’exemple acheuléen montre un complexe technico-culturel (biface, rôle de la consommation de viande dans l’évolution biologique, dans l’organisation sociale sexuée). L’auteur montre que les évolutions se sont faites en divers lieux et à un rythme différent mettent en évidence les capacités d’adaptation. Les paléontologues sont confrontés à des réalités différentes selon les sites de plus en plus nombreux dispersés dans le monde.

Trois empires humains

Trois espèces sont nées de l’homo erectus (carte p. 141). L’homo heidelbergensis est l’ancêtre commun des Néandertaliens et des Sapiens, en Afrique et en Europe. Les Néandertaliens sont les premiers Européens, l’auteur en propose une description détaillée : morphologie, outillage, sépultures et expansion géographique.

Les Dénisoviens, dont la découverte dans la grotte de Dénisova est récente, sont présents en Asie. Deux hypothèses existent concernant les filiations de d’homo heidelbergensis/
Sapiens lui sort d’Afrique. La génétique a mis en évidence les échanges entre ces trois familles même si les échanges entre Denisoviens et Sapiens semblent peu probables. Surtout la génétique montre la grande mobilité des groupes humains.

Il convient alors de se demander : Pourquoi la victoire de Sapiens au paléolithique supérieur ?

Les hypothèses portent sur une organisation sociale plus agressive, plus favorable à la croissance démographique et plus sédentaire aussi.

L’homme moderne, ce migrant

Ce chapitre est consacré au Sapiens moderne, sorti d’Afrique qui se distingue de ses prédécesseurs par sa morphologie et surtout sa culture. En fait s’il arrive en Europe (Cro-Magnon) ce n’est que tardivement après un passage au Proche Orient (Qafzeh vers 110 000 ans) où la consommation de coquillages semble lui avoir été profitable. A-t-il gagné l’Europe du Sud (Cavallo en Italie, Espagne) par bateau ? La carte des migrations révélées par la paléogénétique (p. 184) permet des hypothèses à mettre aussi en relation avec les variations du niveau des mers (Grotte Cosquer). L’auteur aborde à ce propos le peuplement de l’Australie et de l’Amérique.

La grande transition

Au début de l’holocène l’homme est un chasseur-cueilleur dont les techniques évoluent (Mésolithique). L’auteur regrette la faiblesse des études françaises en protohistoire et montre ce que les fouilles de Göbekli Tepe nous apprennent sur la néolithisation. Cette période voit se développer des conflitsVoir Par les armes, Le jour où l’homme inventa la guerre, Anne Lehoërffn Belin, collection histoire, 2018 mais les croyances Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, Jacques Cauvin, Editions du CNRS, coll. Biblis, 2019 aussi changent avant même l’apparition de grandes citésIl y a 9 000 ans, Çatalhöyük, une communauté aux problèmes urbains modernes, Clark Spencer Larsen, Christopher J. Knüsel, Scott D. Haddow, Marin A. Pilloud, Marco Milella, Joshua W. Sadvari, Jessica Pearson, Christopher B. Ruff, Evan M. Garofalo, Emmy Bocaege, Barbara J. Betz, Irene Dori, Bonnie Glencross. Bioarchaeology of Neolithic Çatalhöyük reveals fundamental transitions in health, mobility, and lifestyle in early farmers, National Academy of Sciences, June 17, 2019..

Les agriculteurs, les éleveurs migrent et peuplent l’Europe avant qu’un troisième courant migratoire, depuis le Caucase, apporte la civilisation des métaux tout en fuyant la peste, comme le montre la génétique.

L’axialisation du monde

Ce dernier chapitre aborde les temps historiques que l’auteur considère comme le passage d’un monde mythique à un monde théorique. Ce qu’il appelle la révolution axiale, en suivant Jaspers, concerne les comportements et les significations éthiques, morales, sociales et politiques se produit au début de l’histoire. L’auteur propose de réinterpréter l’évolution de l’homme selon la pensée axiale : homo erectus et la transformation du monde, les « hommes robustes », homo sapiens et la révolution symbolique, l’âge des agricultures et enfin les temps historiques. La grande rupture est alors la naissance des monothéismes.

Conclusion : une révolution anthropologique

Pour Pascal Picq un nouvel age de l’humanité est né en 2007 avec le smartphone, la population urbaine devenue majoritaire et l’intelligence artificielle. Il pose la question non pas de la surpopulation mais de l’effondrement démographique avec la baisse de la fécondité. C’est aussi la question de la parentalité et de la place des femmes dans la société. Enfin les migrations, les dérèglements climatiques et l’accroissement des écarts riches/pauvres montrent à quel point Sapiens est face à Sapiens.