Une photo
En couverture, une photo algérienne sans date montre un jeune Français dont la captivité est mise en scène dans un cadre villageois. L’une des femmes entourant le jeune homme fait mine de le tenir en respect avec une vieille pétoire. Certaines regardent fièrement l’objectif et l’une semble bavarderPhoto reproduite avec plus de détails, p. 71.. A l’heure où internet met en contact les anciens belligérants, la photo pourrait raviver des souvenirs personnels. On n’a pas connaissance du sort de l’inconnu et toutes les sources utilisées ici n’ont pas forcément été communiquées aux familles. Croisant témoignages, archives privées, archives civiles et militaires françaises (dont certaines prises à l’ALN), fonds du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et quelques sources des Archives nationales algériennes, l’auteure répond à une demande d’histoire là où il n’existait que témoignages écrits. La question est abordée avec la conscience de ce qu’elle représente pour des survivants et des familles de disparus. Le thème étant au cœur du programme de terminale L-ES, des extraits des récits ou des documents reproduits peuvent être utilisés comme documents de travail en classe ou comme sujets de DS.
Diversité des prisonniers du FLN
Avant d’être assassiné en 1996, frère Luc, du monastère de Tibhirine, avait déjà connu l’expérience d’une captivité aux mains de l’ALN. L’auteure rend compte de l’étonnante diversité des situations pour ceux qui furent peu nombreux comparés aux Français prisonniers du Viet Minh ou aux Algériens prisonniers des Français, deux groupes qui connurent aussi des disparitions. Une partie des prisonniers du FLN furent des civils enlevés, « Européens » d’Algérie, Algériens ou étrangers européens. Compte tenu de l’incertitude pesant sur les causes des disparitions, le nombre d’Algériens prisonniers est très peu connu, l’armée française ayant eu tendance à les considérer comme passés au FLN. Plusieurs appelés français bataillèrent pour une reconnaissance après avoir été portés déserteurs. Les militaires furent souvent capturés alors qu’ils étaient isolés ou surpris à leur poste à la faveur d’un retournement d’allégeance. L’auteure fournit un certain nombre de chiffres et de statistiques tout en en soulignant les marges d’incertitudes.
La première application des conventions de Genève
La question constitue un premier test d’application des conventions de Genève. Le FLN a intérêt à faire des prisonniers pour prouver sa capacité à maîtriser le terrain en y exerçant une souveraineté de fait afin de se poser en interlocuteur du Comité international de la Croix-Rouge, de disposer d’une arme psychologique ou de mettre en scène médiatiquement des libérations en soignant son image à l’ONU. L’organisation est confrontée aux tensions entre sa direction civile hors d’Algérie et l’ALN, de plus en plus privée de vivres et de marge de manœuvre face aux moyens militaires français et au déplacement des populations.
Côté français, être prisonnier du FLN n’est pas sérieusement envisagé. Le fait que les opérations militaires ne mobilisent jamais autant d’hommes que celles de l’Indochine, contribue à récuser l’état de guerre et le statut de prisonnier. Cette non-reconnaissance de l’adversaire paraît avoir pesé lourdement sur la possibilité d’échanges.
Facteurs de survie, facteurs de mort
Ce qui décide du sort des captifs est complexe. En dépit de l’intérêt bien compris du FLN à faire des prisonniers, il doit composer avec d’autres impératifs. Contre l’idée française de villageois systématiquement terrorisés par l’ALN, l’étude montre que, là où l’on entretient la rancœur vis-à-vis d’un épisode répressif français, les djounoud doivent tenir leurs prisonniers à l’écart de la vindicte villageoise. Les combattants algériens ne connaissent pas les conventions de Genève et sont sans illusion quant au sort qui leur est réservé en cas de capture, bien que la France ait mis en place un statut restreint pour quelques combattants pris les armes à la main (PAM). Les exigences du FLN sont donc difficilement acceptées par la base combattante même si, par empathie ou par calcul, on ordonne à un djoundi de céder ses pataugas à un Français peu habitué à marcher pieds nus dans le djebel. Certains prisonniers ont vécu un calvaire. D’autres ont senti le vent d’une libération qui n’eut pas lieu. D’autres encore, vivent dans la région d’Oujda une détention proche du statut du prisonnier de guerre. Le quotidien plus que spartiate de l’ALN épuise les plus faibles dans des marches diurnes ou nocturnes de 30 à 40 km par tous les temps. Vivres et médicaments manquent. Les prisonniers handicapent des maquisards sans appui aérien et pris au piège de l’électrification des frontières. Les offensives françaises pèsent ainsi sur la survie des captifs. Parfois, l’exécution de Français par balles ou à l’arme blanche est présentée comme une réponse à l’exécution d’Algériens. Quelques Français sont ainsi condamnés par une cour de l’ALN pour crime de guerre. Le transfert d’une wilaya à l’autre semble expliquer l’exécution d’un couple confié à des geôliers moins biens disposés ou soumis à des contraintes plus fortes. La pression des autorités tunisiennes ou marocaines influe parfois sur une libération.
Étrangeté des situations
Avoir été prisonnier dans un conflit non reconnu a posé un sérieux problème psychologique et matériel aux libérés ou aux familles. En 1963, on date officiellement du 5 août 1956, jour de sa disparition, le décès de Marcel Vannière, sans que rien ne soit su de son sort réel après ce moment. Face à des services sociaux mal informés d’une situation rare, certains peinent à faire reconnaître l’angoisse vécue et le lien entre une affection médicale et la captivité. Le flou mémoriel est à l’image de l’anecdote qui clôt l’ouvrage. En 2001, alors qu’il attend le match France-Algérie devant sa télévision, Jean Dziezuk, ancien prisonnier, patiente devant un reportage sur la première équipe algérienne de football réunie par le FLN en 1958 et filmée à l’aéroport de Tunis. Mais les images présentées par TF1 comme celles des neuf meilleurs joueurs algériens de 1958 n’ont rien à voir avec le commentaire. Les huit hommes descendant de l’avion sont Jean Dziezuk lui-même et d’autres prisonniers français du FLN filmés à l’aéroport de Villacoublay.
Dominique Chathuant © Clionautes