L’auteure est docteur en Histoire, enseignante et chercheuse au Centre de recherche bretonne et celtique de Brest. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, comme « L’exil espagnol en Bretagne », « Bretonnes et résistantes », « Enfance bafouée, la société rurale bretonne face aux abus sexuels au XIXe siècle », …
L’ouvrage est une monographie passionnante et courte de 126 pages, qui est composée de trois parties. La première partie « Naître franco-allemand », une seconde partie « Vivre avec le traumatisme », une troisième « Grandir et devenir adulte à son tour ». Le tout se lit d’une traite, sans pathos excessif, une étude remarquable et bien documentée.
La défaite française de juin 1940 a entraîné de nombreux flux de personnes entre l’Allemagne et la France. C’est ainsi 60 000 soldats allemands qui se répartissent sur le littoral du mur de l’Atlantique, deux millions de Français qui sont envoyés en Allemagne entre 1940 et 1945. Entre 1944 et 1948, ce sont près d’un million de prisonniers de guerres allemands qui sont détenus en France. C’est l’événement guerrier qui conditionne au départ les rapports entre l’occupant et la population, mais progressivement des rencontres informelles entre les individus se nouent, témoignant du fait que « la vie intime [connaît] sa propre autonomie », l’auteure citant Mr Fabrice Virgili. Des jeunes gens ont défié « les interdits » et bravé « les tabous » en se fréquentant et en s’aimant au cœur du conflit meurtrier.
Les enfants nés de ces unions ont été qualifiés d’« enfants de guerre », leurs géniteurs n’auraient pas dû se rencontrer s’il n’y avait pas eu la guerre. Nés de l’amour et conçus dans « une guerre porteuse de tant de morts »1. Ils sont devenus un véritable phénomène de société, de par leur nombre.2
Mais, depuis quand nous intéressons-nous à ces enfants de guerre ? Ils sont devenus « un objet d’histoire à part entière » à partir des années 2000. L’auteure cite le film « Enfants de Boches » de Christophe Weber et Olivier Trucs en 2003. En 2005, deux associations sont créées, l’Amicale nationale des enfants de guerre et Cœurs sans frontières, qui regroupent les personnes nées de père allemand ou autrichien et de mère française et leurs descendants, ainsi que les personnes nées de père français et de mère allemande, élevées en France, et leurs descendants. La parole de beaucoup de témoins se libère à l’arrivée à la retraite, ou à la mort des parents, freins à la recherche de la vérité.
C’est une reconnaissance bien tardive de ces victimes de guerre, ces dommages collatéraux, Mr Kouchner déplorant dans un discours que les deux pays soient restés « sourds à la détresse des dernières victimes innocentes d’un conflit qu’elles n’ont pas connu ». L’année suivante, l’Allemagne accepte d’accorder la double nationalité.
L’ouvrage de Mme le Boulanger expose les situations d’enfants domiciliés pour leur immense majorité en Bretagne (sauf un en Mayenne). Elle évoque les difficultés à trouver des témoins qui acceptent d’apporter un éclairage sur leur histoire familiale pour expliquer et s’appuie sur dix-huit témoignages riches et intéressants. Tous sont nés pendant la Seconde Guerre mondiale, entre 1941 et 1945, à l’exception de l’un d’entre eux, né en 1949 d’un père allemand prisonnier de guerre en France. Seize sont issus d’une mère française et d’un père allemand, les deux derniers sont la sœur et le frère d’un enfant né d’un père français prisonnier en Allemagne et d’une mère allemande. Sept hommes, onze femmes. Ces dernières livrent des témoignages plus étoffés, moins inhibés, mais tous ressentent le fait d’en parler comme une épreuve, pour certains, nécessaire afin de se libérer d’un passé.3 Lydie, Daniel, Francis, Nicole, Micheline, … autant de personnes courageuses qui acceptent de témoigner.
L’auteure commence par présenter le contexte de la naissance de ces enfants. Elle reprend les relations personnelles de parents qui n’ignorent pas les menaces qui pèsent sur leur union et qui rendent stressantes les naissances. Souvent, les mamans sont jeunes et à l’annonce de la grossesse, subissent des violences, des rejets ; la grossesse est cachée le plus longtemps possible, la naissance se fait dans l’immense majorité des cas à l’hôpital, par peur du voisinage. L’abandon est parfois décidé sans que la mère puisse s’exprimer. L’absence du père dans l’éducation des enfants fait l’objet d’une mise en perspective extrêmement intéressante. Confiés à une nourrice, aux grands-parents, seule l’arrivée de beaux-pères permet de créer des unités familiales plus respectueuses aux yeux des pairs et des collatéraux.
« Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? ». Trois questions essentielles que se pose l’être humain depuis sa naissance. Pour les enfants de guerre, elles sont douloureuses, parfois même occultées de peur de raviver leurs souffrances ou de briser les secrets de famille, s’opposant à la déréliction de leurs mères fautives d’avoir fait naître des enfants interdits, et qui a interdit à ces femmes de nouer des liens harmonieux avec leurs enfants. L’auteure insiste à travers les exemples sur le poids des origines incertaines, d’une identité déchirée, de la culpabilité que l’enfant ressent, subit et qui l’enferme dans « une enfance sans joies et sans rires », si d’autres adultes ne se substituent pas aux parents. Arrivés à l’adolescence, de fragiles équilibres familiaux éclatent face aux désirs légitimes de ces enfants de connaître la vérité et face au silence qu’on leur impose trop souvent en occultant leurs questions.
S’y rajoutent les carences affectives, les rejets, les brimades et les humiliations, cet enfant victime d’une remarque discriminante de la part d’une sœur dans son internat. L’absence du père fragilise, la mère défaillante ne peut jouer les remparts, encore moins quand les remarques émanent de la famille, des beaux-pères, des relais de l’autorité légitime, maires, sœurs des institutions religieuses, prêtres, … Naître et vivre comme un paria au milieu de ses proches, rend difficile la résilience dans ces conditions.
L’auteure s’attache donc à expliquer la quête identitaire de ces témoins, les raisons pour lesquelles elle est souvent tardive et intervient trop tardivement, surprend, gêne les familles allemandes. Certains resteront sur une quête inachevée, faute d’informations suffisantes communiquées par les familles ou des tierces personnes. Parfois, au contraire, des gens de l’entourage donneront de précieuses indications à la mort des parents.
Je recommande vivement cet ouvrage, facile à lire, et qui ouvre des perspectives sur des conflits plus contemporains, le viol comme violence de masse, apporte son lot de « filles et de garçons nés de parents de nationalités différentes ou d’ethnies ennemies ». Parler des enfants de la Seconde Guerre mondiale pour éviter la stigmatisation de ces victimes du XXIe siècle, l’intention est louable.
« A l’heure où la génération des enfants de guerre commence à vieillir, il semble capitale pour la mémoire collective d’entendre ce qu’ils ont à nous dire de ce pan de notre histoire » Leurs trajectoires, individuelles, singulières, s’inscrivent dans une histoire collective et plus largement dans l’Histoire », Isabelle le Boulanger, (page 8).
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1 Extrait de « Naître ennemi. Les couples franco-allemands nés pendant la Seconde Guerre mondiale,» de Fabrice Virgili, aux éditions Payot.
2 L’auteur avance le chiffre de 200. 000 enfants, mais le chiffre de 100.000 semble plus raisonnable.
3 « A l’heure où la génération des enfants de guerre commence à vieillir, il semble capitale pour la mémoire collective d’entendre ce qu’ils ont à nous dire de ce pan de notre histoire » Leurs trajectoires, individuelles, singulières, s’inscrivent dans une histoire collective et plus largement dans l’Histoire », Isabelle le Boulanger, page 8.