Comme le souligne Johann Chapoutot dans la préface, Goebbels, influencé par Propaganda d’Edward Bernays, s’était donné comme mission de promouvoir Hitler en le « sublimant » grâce à une nuée de mensonges qui avaient pour but de « produire, au minimum, un consentement, voire de fabriquer une adhésion, sinon de susciter l’enthousiasme ». Mais, cette vision du monde unilatérale a aussi pu prêter le flanc au sarcasme et à la caricature. C’est pour mettre en avant l’imagination fertile des progagandistes nazis et alliés et donner au lecteur le même niveau d’information sur Hitler qu’un quidam curieux entre 1933 et 1945 qu’Emmanuel Thiébot a rassemblé dans cet ouvrage 350 illustrations autour des différents « visages d’Hitler ».

Emmanuel Thiébot est historien au Mémorial de Caen et responsable du Mémorial de Falaise – La Guerre des Civils, consacré aux populations civiles durant la Seconde Guerre mondiale. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale. De plus, il recherche et collectionne depuis de nombreuses années les documents de propagande présentés dans cet ouvrage.

Propagande nazie

Dans cette première partie, Emmanuel Thiébot montre d’abord comment Hitler, dès Mein Kampf, s’emploie à s’inventer un destin et un passé et comment ce récit va être largement diffusé par la propagande à toutes les générations une fois les nazis arrivés au pouvoir. Il s’intéresse notamment aux différents portraits officiels d’Hitler (comme ceux de son photographe officiel Heinrich Hoffmann) et à leur place dans la propagande nazie mais aussi des Alliés. Dans cette guerre de l’image, Emmanuel Thiébot ressort aussi quelques photos du Führer qui ont échappé à la censure.

A partir de 1933, la propagande nazie veut présenter Hitler comme un homme d’une grande simplicité et accessible afin que chaque homme et femme d’Allemagne s’identifie à lui. Il est alors photographié comme un homme du peuple au milieu du peuple ou dans son intimité.

Ensuite, Emmanuel Thiébot rassemble quelques éditions allemandes mais aussi étrangères de Mein Kampf et montre comment cette référence doctrinale du nazisme va aussi être utilisée par certains opposants antinazis.

Enfin, il termine cette partie en illustrant quelques réactions de la presse allemande et étrangères face à l’impérialisme et à la notion d' »espace vital » développés par Hitler. Il s’intéresse notamment à la représentation d’Hitler comme chef de guerre (aussi bien du côté nazi qu’allié) et à son évolution au cours de la Seconde guerre mondiale.

Ses « alliés »

Dans cette deuxième partie, Emmanuel Thiébot rassemble quelques photographies officielles pour illustrer les relations entre Hitler et Mussolini mais aussi celles entre le Führer et Franco. Il montre aussi comment les alliances Hitler-Mussolini et Hitler-Staline (jusqu’à la fin du pacte germano-soviétique) sont moquées dans la presse étrangère et dans les tracts alliés.

Le regard des autres

Dans cette troisième partie, Emmanuel Thiébot présente le regard que porte les autres pays (notamment la France) sur la personnalité d’Hitler : il y est souvent présenté comme un homme agité, dangereux pour la paix, un menteur et un assassin.

Dans cette guerre de l’image, le Führer comme pantin à pendre ou comme cible pour se défouler sont des thématiques qui reviennent souvent dans la propagande antinazie. De même, le physique d’Hitler va rapidement se prêter à la caricature et à la parodie aussi bien par des inconnus que des célébrités (comme bien sûr Chaplin dans Le dictateur).

L’Europe à l’heure d’Hitler

Emmanuel Thiébot revient d’abord sur la France sous l’occupation allemande. Il s’intéresse ainsi aux photographies de l’armistice du 22 juin 1940 utilisées par les Alliés pour dénoncer « l’hystérie d’Hitler ». De même, il analyse les photographies officielles du Führer lors de son passage en France et, notamment, de sa visite de Paris. Par contre, hormis quelques exceptions dans la presse collaborationniste, l’image d’Hitler est quasiment absente des propagandes allemandes et du régime de Vichy.

Pour finir, l’auteur met l’accent sur deux éléments de propagande qui ont un rôle important pour le culte de la personnalité autour d’Hitler dans l’Europe nazie : les timbres et la date du 20 avril, jour anniversaire d’Hitler.

Quand la caricature s’en mêle

Dans cette dernière partie, Emmanuel Thiébot s’intéresse aux caricatures d’Hitler. Il relève d’abord quelques quelques thématiques qui reviennent souvent : représenté en « Grand homme » du passé pour mieux le moquer (en Napoléon pour les Soviétiques, en Kaiser pour les Français…) ou animalisé (loup, cochon …), Hitler est caricaturé comme peureux ou comme se faisant botter les fesses.

Dans un deuxième temps, l’auteur présente des caricatures soviétiques (avec souvent un vocabulaire et des dessins très violents et insultants). Il donne aussi à voir des caricatures alliées où la guerre est souvent présentées comme une « guerre juste » : dans la propagande américaine, Hitler est parfois ridiculisé au côté de Mussolini et du général Tojo. Une partie est réservée à la caricature d’Hitler par la Résistance. En France, la caricature s’en donne particulièrement à coeur joie à partir de l’automne 1944.

Pour terminer, Emmanuel Thiébot revient sur quelques chansons moquant Hitler ainsi que sur l’inspiration que suscite aux caricaturistes la rumeur autour de sosies d’Hitler.

Mon avis

Ce très beau livre est passionnant. A travers l’imagination fertile des propagandistes hitlériens et nazis, Emmanuel Thiébot nous fait découvrir la fabrique de l’image d’Hitler mais aussi les failles de la propagande nazie qui serviront de prises pour la propagande antinazie. C’est dans cet objectif que chacune des 350 illustrations est présentée et recontextualisée avec beaucoup de finesse et d’intelligence afin de donner du sens à l’image.

L’autre grand intérêt de cet ouvrage repose sur la richesse, la rareté et la diversité de l’iconographie et des archives choisis par l’auteur. En effet, au-delà des photographies et dessins officiels, la propagande nazie et alliée utilise tous les moyens pour convaincre : timbres, cartes postales, tracts, caricatures.. La propagande hitlérienne va jusqu’à s’insinuer dans la vie des Allemands : jouets pour enfants, catalogues de meubles, distribution de Mein Kampf aux jeunes mariés …

Pour conclure, voilà un bel ouvrage qui permettra aux enseignants d’histoire-géographie de compléter leurs connaissances sur la propagande et le culte de la personnalité autour (et contre) Hitler. Il permettra aussi d’y puiser d’autres images de propagande que celles traditionnellement présentes dans les manuels scolaires et d’amener les élèves vers d’autres supports de propagande mis en place par les nazis et les Alliés.

Vidéo de présentation de l’ouvrage