Ce volume est un numéro de la revue Alternatives Sud, qui existe depuis 1999 et qui est publié aux éditions Syllepse depuis 2004. Les éditions Syllepse sont belges. C’est une maison d’édition engagée, qui se veut partisane. C’est ce que l’on appelle un alter-éditeur. Pour en savoir plus : www.syllepse.net. Chaque numéro de la revue est consacré à un thème. Ici, on traite des liens entre prostitution et mondialisation. 11 articles sur le thème sont présentés. La plupart sont consacrés à un espace régional : Amérique Latine, Afrique, Europe. Certains articles sont très militants, d’autres plus objectifs. Mais, il y a beaucoup de redites d’un article à l’autre.
Les auteurs que réunit Richard Poulin (professeur de sociologie à l’Université d’Ottawa), le coordinateur du volume, sont essentiellement issus du monde associatif (des ONG féministes et de protection de l’enfance). Ces personnes sont, parallèlement à leur engagement, professeurs d’université, avocates, juriste, politologue.
L’adage qui qualifie la prostitution de « plus vieux métier du monde » montre que depuis fort longtemps le commerce du sexe est répandu à l’échelle de la planète. La nouveauté de notre siècle et du siècle dernier est qu’elle touche un nombre très important d’enfants, en plus des femmes qui étaient jusque là essentiellement concernées par ce phénomène. La prostitution prend son essor dans le cadre du tourisme international. Elle représente un pourcentage important du PNB des pays. Richard Poulin parle de « pornographisation » des imaginaires sociaux et de la « prostitutionnalisation » de régions entières. L’Asie est un espace régional en plein essor dans le domaine de la prostitution. C’est d’ailleurs là que l’épidémie de sida connaît la plus forte progression.
La mondialisation a contribué à l’expansion rapide d’une industrie du sexe, via internet et le tourisme international. La perméabilité des frontières, l’importance des profits générés et la loi du silence constituent les autres ressorts de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. La paupérisation des sociétés des pays en développement facilite cet essor. Avec la mise en place des PAS (plans d’ajustement structurel), des coupes sombres ont été faites dans les services sociaux et d’éducation. Ce sont surtout ces plans d’économies qui ont été des facteurs d’instabilité et de pauvreté plus que l’ouverture des marchés et la mondialisation. Les femmes et les enfants sont les premières victimes de la paupérisation. Dans ce contexte, la promesse d’une vie meilleure pousse parents et enfants à confier leur sort à celui qui leur propose un bon travail dans les pays riches.
En effet, les auteurs remettent en cause l’idée qu’ils puissent exister une prostitution « libre », volontairement choisie. Ils s’opposent en cela à Elisabeth Badinter. Ils partent du postulat que, comme les femmes ne sont pas libres, elles ne peuvent pas faire commerce de leur corps de leur propre volonté. Ils assimilent prostitution et traite. Ils retiennent une définition large de la prostitution : au-delà de la définition courante, ils y incluent les unions arrangées par des agences matrimoniales, par correspondance, par internet ainsi que les jeunes filles au pair et la pornographie. L’adhésion du lecteur au texte est alors mise à rude épreuve.
Les auteurs estiment que la légalisation de la prostitution (comme c’est le cas dans quelques pays : Pays Bas, Allemagne, Suisse, Grèce, Australie, Nouvelle Zélande et trois Etats des Etats-Unis…) est la porte ouverte à l’essor du proxénétisme et de la traite. En cantonnant la prostitution à certains quartiers (cf. quartier rouge à Amsterdam), l’Etat reconnaît aux prostituées le statut de « travailleuses du sexe » et engage des contrôles sanitaires auprès de celles-ci. Pourtant, les ONG refusent une institutionnalisation de la prostitution. La réouverture des maisons closes amènerait à ce que les ONG ne pourraient plus venir en aide aux victimes de la traite. En Italie, par exemple, les Nigérianes et les Albanaises qui arrivent sur les trottoirs ne parlent pas la langue locale. Travaillant dehors, les ONG peuvent nouer des contacts avec elles et les informer de leurs droits. Enfermées, leur seul contact serait leur souteneur. Les ONG craignent aussi que reconnues comme « travailleuses du sexe », on ne tienne pas compte du fait qu’elles sont arrivées là par tromperie et qu’elles soient sous la dépendance de leur proxénète.
Les auteurs reconnaissent que la législation qui prohibe la prostitution n’est pas une solution. C’est celle qui est la plus répandue à l’échelle du globe. Elle encourage la clandestinité. La volonté politique manque pour mettre en œuvre la loi. Pour lutter contre cet essor, il faut non seulement s’attaquer au proxénète mais aussi au client. C’est la politique que mènent quelques pays nordiques.
La plupart des auteurs de ce volume prêchent pour l’abolition de la prostitution, en tant que forme d’exploitation. Ils rappellent l’existence de nombreuses conventions internationales (dont le protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, 2000, actuellement ratifié par 40 Etats.) et regrettent leur non application dans les faits.
A l’exception d’une auteure, les auteurs ne s’interrogent pas sur la capacité des sociétés à vivre sans prostituées. La prostitution est un défouloir sexuel nécessaire. Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin le disaient déjà à leur époque. La prostitution existe car il existe une demande. La mondialisation rend plus visible la prostitution grâce aux nouvelles technologies et à la révolution des transports. Rien n’a vraiment changé.
Comme on l’aura compris, le volume proposé par la revue Alternatives Sud est résolument militant. Le ton revendicatif lasse à la longue. Toutefois, trois articles, situés en fin d’ouvrage, valent le détour. Il s’agit d’études de cas menées par des universitaires. Oluyemisi Bamgbose, professeur de criminologie à Ibadan, consacre son article à l’étude des réseaux de prostitution nigériane. Il s’appuie, pour cela, sur l’article d’Aghatise Esohe (2001) qui décrit les rituels Juju que prêtent les candidates à l’émigration en Italie qui expliquent les difficultés qu’a la police italienne à démanteler les réseaux de traite, en raison de la loi du silence qui règne. A signaler encore, le très bon article de Abdessamad Dialmy, professeur de sociologie à Fès. Ce dernier replace la prostitution des Marocaines dans un cadre mondial. Nombreuses sont les Marocaines qui partent tenter leur chance, de manière volontaire, dans les Etats du Golfe. Enrichies, elles reviennent au pays où elles rachètent leur honneur en offrant à leur famille appartements et maisons. Il n’oublie pas aussi de décrire la prostitution nationale concentrée dans les stations balnéaires pour répondre aux besoins des Européens en villégiature. Enfin, le dernier article de l’ouvrage donnera matière à réflexion à tous les enseignants en classe de seconde qui régulièrement exposent le cas de la frontière américano-mexicaine à leurs élèves. On parle beaucoup de flux Sud – Nord et beaucoup de moins de ceux dans l’autre sens. Les week-ends, nombreux sont les nord-Américains qui passent la frontière à la recherche de plaisirs bon marché et peu réglementés. La vente d’alcool y est autorisée, y compris aux mineurs. De plus, les candidats malheureux à l’émigration, de plus en plus jeunes, offrent à très bon marché leurs services sexuels en attendant de pouvoir réussir leur passage. Cet avantage comparatif peut être évoqué avec des lycéens.
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