Respectivement maître de conférences en anthropologie et sociologie à l’Université du Littoral et architecte et historienne à l’école nationale supérieure d’architecture de Clermont-Ferrand, Sophie Gravereau et Caroline Varlet s’attaquent dans cet ouvrage à la question de l’espace non pas au sens du support des relations sociales comme Bourdieu a pu l’entendre mais au sens physique, occupé, parcouru et territorialisé…un objet à réinterroger depuis le « spatial turn ». Il n’en fallait pas plus pour que l’œil du géographe regarde ce qu’écrit la plume du sociologue.

La première impression est qu’on ne pourra pas reprocher aux auteures de faire l’impasse sur les travaux des géographes. Presque tous y passent : Berque et Bailly sur les perceptions ; Di Méo sur la territorialité ; Dollfus, Grataloup, Ghorra-Gobin sur la mondialisation mais encore Lévy, Lussault, Roncayolo, Troin, Staszak, Gravari-Barbas, Veschambre, Miossec, Foucher et tant d’autres dans les bibliographies complémentaires des 14 chapitres qui structurent les 4 parties de l’ouvrage.

La convocation des travaux de sociologues dans les divers ouvrages d’épistémologie de géographie est loin d’être symétrique. Est-ce à dire que les sociologues sont plus altruistes, plus partageurs ou plus reconnaissants de l’inspiration que leur ont donné des sources extérieures et que les géographes le sont moins ? Ou alors, est-ce une question de partage des territoires ?

Prenons deux sources :

Claval, en 1995, rappelait dans « l’Encyclopédie de Géographie » (Bailly, Ferras, Pumain, dir) : « La géographie étudie la surface de la terre et la manière dont les hommes la mettent en valeur, l’aménagent, la perçoivent et la rêvent. La sociologie s’attache aux groupes humains, à leur organisation, aux formes de sociabilité qui s’y développent et aux représentations que leurs membres se font de leur identité, des liens qui les unissent ou des différends qui les opposent ».

Bavoux, plus récemment en 2002 dans son ouvrage « La géographie », livrait ces extraits :

  • « la sociologie étudie plutôt les rapports entre les hommes, la géographie plutôt les rapports entre les hommes et l’espace »,
  • « les questions sociales n’intéressent le géographe que dans la mesure où elles impliquent, d’une manière ou d’une autre, une composante spatiale, ce qui est d’ailleurs presque toujours le cas »,
  • « les études géographiques sont spatialisées et localisées tandis que les sociologues travaillent dans un espace plus abstrait »,
  • « les sociologues regardent de plus en plus l’espace concret, les géographes abordent de plus en plus les problèmes sociaux ou les représentations mentales ».

Alors oui, il y a de vrais chapitres sur la sociologie au travers de questions comme la place dans la hiérarchie sociale, le sentiment d’appartenance à un espace au travers de changements de résidence(s) ou encore les ségrégations sociales avec des idées inspirantes mais ce qui brouille les pistes, c’est que les auteures usent et abusent des titres basés sur l’usage des termes « social » et « spatial » agencés en binômes dans un plan complexe: chap 1-morphologie sociale et construction spatiale, chap 3-origines spatiales et appartenances sociales, chap 4-incarnations spatiales et identifications sociales, chap 6-marquage spatial et revendications sociales, chap 7-ségrégations spatiales et étiquettes sociales, chap 9-conquêtes spatiales et identités sociales, chap 12-mobilités spatiales et flux sociaux, chap 13-représentations spatiales et rhétoriques sociales, chap 14-démonstrations spatiales et utopies sociales.

Une certaine dilution des propos contenus derrière ces formulations ressort de cette rhétorique auxquels s’ajoute le problème que certains passages ne sont parfois structurés que sur les travaux d’un seul auteur, voir sur un seul de ses articles. Cela peut montrer le côté pointu de tel ou tel aspect d’une question mais aussi l’enfermer dans une seule vision des choses.

Sur un plan formel, on relève quelques coquilles orthographiques, oublis et inversions alphabétiques dans la bibliographie générale. L’ouvrage ne comporte également aucune illustration, ce qui n’aide pas à la compréhension. Certes, dans la collection « U », les images sont assez rares mais pas toujours nécessairement absentes dans d’autres titres.

Ce n’est pas sans gêne que je relève ces points car j’en viens à me demander si, en plus d’être déjà institutionnellement malmenés par les historiens, les géographes ne se verraient pas désormais scientifiquement titillés par les sociologues. A moins que ma lecture ait été faite sur un mode de défense disciplinaire et qu’il ne faille désormais raisonner dans le cadre de « sciences sociales » dont l’espace (en tant qu’objet d’étude et de recherche) soit un espace partagé (dans les territoires disciplinaires de chacun) ? C’est sans doute ce que cet ouvrage affirme et réaffirme et que je n’ai peut-être pas réussi à pleinement saisir du fait d’une faible culture en sociologie et du fait d’attentes didactiques de part de la collection U qui, généralement, vise les étudiants de début de cycle.

A lire pour d’autres et à relire pour moi, plus tard, au-delà des délais habituels que nous consacrons à nos comptes-rendus pour lui donner une seconde chance.