Economiste spécialiste dans la finance internationale, professeur à l’université de Georgetown, Washington DC, ses propres préjugés se sont émoussés à l’issue de ce voyage. Son livre date de 2005. Il vient d’être traduit en français. A sa lecture, on ne peut s’empêcher de penser au superbe livre d’Erik Orsenna. Voyage au pays du coton. 2006, que Fayard a précédemment édité.
Pour entamer sa quête, Piétra Rivoli a acheté un tee-shirt sur la plage de Fort Lauderdale. A partir de ce produit, elle a commencé l’enquête en s’adressant, d’abord, à l’entreprise américaine dont le nom figurait sur l’étiquette. Sherry Manufacturing est une entreprise qui imprime des motifs sur des tee-shirts importés. Ce premier contact permet à l’auteure, à sa grande surprise, de découvrir que le coton à la base du tee-shirt est cultivé aux Etats-Unis, au Texas, plus exactement. Voilà 200 ans que les Etats-Unis dominent le marché, grâce, notamment, au poids historique de l’esclavage. Depuis l’abolition de celui-ci, ils restent compétitifs grâce aux subventions du gouvernement américain mais aussi en raison de l’extra créativité entrepreneuriale des planteurs américains, de la recherche et développement et de la mécanisation. Les agriculteurs étatsuniens s’en sortent d’autant mieux que leurs produits, y compris secondaires, sont valorisés. 24% d’une balle de coton contient des fibres. Le reste est transformé en aliments pour bétail et surtout en huile (qui entre dans la composition des chips Lay ou encore dans celle des savons Palmolive). Les subventions du gouvernement américain ont pour conséquence d’accroître la quantité de coton cultivé aux Etats-Unis et donc de faire baisser le prix du coton sur le marché mondial. On pourra reprocher à l’auteure de ne pas être très critique vis-à-vis des méthodes de production employées (engrais, pesticides, OGM) et de ne pas prendre assez de recul par rapport au contenu des interviews qu’elle a menées.
Une fois produit, comme le dit la très peu géographe Piétra Rivoli, « le coton prend à gauche sur la carte en direction de la Chine » (page 116). Là, dans des anciennes usines de la planification communiste, maintenant totalement insérées dans le circuit capitaliste, la balle de coton est filée, tissée. Le tricot obtenu est ensuite découpé et cousu en tee-shirts par des ouvrières. Le coton n’entre que pour 15 cents dans le coût de fabrication du tee-shirt. La main d’œuvre occupe encore une grande place. Au nom de la compétitivité, les salaires sont tirés vers le bas, y compris dans les pays du Nord, victime de la mondialisation du travail. Pourtant, Piétra Rivoli montre que, même harassant, le travail à l’usine permet une relative émancipation des ouvrières. En quittant leur village (comme autrefois, l’ont fait les ouvrières des sweatshops en Angleterre ou aux Etats-Unis), la jeune femme acquiert une indépendance vis-à-vis de ces ascendants. Même si elle travaille 12 heures par jour, 7 jours sur 7 avec 2 jours de congés par mois, si elle doit respecter un couvre feu et vivre en dortoir et si elle envoie une bonne partie de son salaire au village (100$/mois), elle est libre de ses allées et venues. Elle accède à la société de consommation pendant le peu de temps libre qu’il lui reste. Pour l’auteur, contrairement à ce que disent les altermondialistes, c’est un progrès. La Chine passe par ce stade comme les pays européens ou nord américains sont passés, il y a plusieurs siècles. Cette organisation du travail n’a rien de nouveau. Les délocalisations pour profiter du différentiel salarial ont commencé dès le XVIII° siècle. La thèse de Piétra Rivoli consiste à dire que les conditions de travail d’aujourd’hui dans les usines textiles de Chine, y compris dans les ateliers clandestins, sont bien meilleures que celles dans les usines textiles du Royaume Uni au XIX° siècle. La preuve en est : les accidents du travail sont moins nombreux.
Face aux délocalisations, le secteur textile américain qui résiste encore fait tout pour réduire les importations de textile chinois, tandis que le lobby des importateurs fait le contraire. Le gouvernement fédéral essaie de satisfaire tout le monde, surtout en période électorale. La partie que l’auteure consacre à la législation concernant les importations de coton est bien longue. Elle l’est d’autant plus que, le livre ayant été écrit de 1999 à 2005, les lois présentées sont aujourd’hui obsolètes. Que retenir de tout cela : les quotas d’importations textiles (abolis en 2005) sont l’objet d’âpres négociations, révélatrices des conflits d’intérêts des uns et des autres : importateurs, exportateurs, filateurs, tisserands, assembleurs, imprimeurs… La mise en place des quotas oblige les Chinois à délocaliser une partie de leurs productions dans des pays qui n’utilisent pas leurs quotas d’exportations textiles. Ainsi, des tee-shirts Made in Lesotho sont bien souvent des tee-shirts chinois déguisés.
La dernière partie du livre (Où vont les tee-shirts après le bac de l’Armée du Salut ?) est une vraie pépite. Si Sylvie Brunel a déjà évoqué, dans ses ouvrages, le « recyclage » des vêtements des pays riches en Afrique, comme la cause de la mauvaise santé de l’industrie textile africaine, Piétra Rivoli met le doigt sur d’autres aspects de la seconde vie des tee-shirts. Un vieux tee-shirt de 1972, arborant une illustration relative à la tournée des Rolling Stones, est l’occasion d’un fructueux bénéfice pour le trieur qui a acheté un lot de vêtements à l’Armée du Salut. On est dans le domaine du Vintage. Son prix peut atteindre 300$ dans une boutique branchée. Dans ce chapitre, l’auteure montre que la présence d’intermédiaires entre le donateur du tee-shirt et le pauvre africain est nécessaire. La fripe entretient de nombreux emplois en Afrique. Elle montre que cela n’a rien de choquant que ce qui a été donné par un Américain soit vendu. C’est un signe de bonne santé économique et démocratique. De plus, cela participe au développement durable avec le recyclage.
L’auteure conclue que si son tee-shirt est un produit de la mondialisation, il n’est pas un produit du libre échangisme. Tant au niveau de la culture du coton, que de sa réalisation ou de sa vente, l’Etat est présent partout : par des mesures de soutien aux agriculteurs américains, par le système du hukou en Chine, par la mise en place de quotas. C’est seulement après le passage par l’Armée du Salut que le marché l’emporte. L’auteure est convaincue que le commerce est un gage de paix. Dans ce système, le marché et les altermondialistes ont un rôle à jouer. Aucuns des deux n’offrent de perspectives à ceux qui font pousser le coton ou fabriquent les tee-shirts. En revanche, la confrontation de ces deux forces antagonistes est productive et permet d’améliorer les conditions de production, donc de travail.
Au-delà des remarques formulées plus haut, force est de constater que cet ouvrage propose un point de vue intéressant, tant du côté de la démarche que du contenu. Il trouve toute sa place dans la préparation d’un cours de classe de 3ème, en géographie sur la mondialisation (La mondialisation des styles de vie, avec l’exemple des vêtements) ou même dans celui de l’option Découverte Professionnelle (comme introduction à la découverte des métiers du textile). On regrettera que l’auteure n’envisage pas le côté design dans le cycle du produit qu’elle étudie.
On exploitera avec profit, avec les élèves ou seul (e), l’excellent site, signalé sur HGfrançais : http://www.journaldunet.com/economie/expliquez-moi/itineraire-tee-shirt/index.shtml
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