Le titre est clair : Le secteur du tourisme est en forte croissance mais tous les acteurs du tourisme n’en profitent pas à parts égales. Ce constat est martelé régulièrement dans ce numéro d’Alternatives Sud composé d’articles rédigés par des auteurs du Sud car tel est l’objectif de ce périodique : donner « un écho plus large aux travaux critiques d’auteurs du Sud dans les sociétés du Nord » selon la présentation qui en est faite sur le site du CETRI (centre tricontinental), organisation non-gouvernementale basée en Belgique.
On peut considérer que deux séries d’articles composent ce numéro : une première vague présentant des remarques à caractères générales (« Expansion du tourisme international et libéralisation des services » ; « privatisation, marchandisation et tourisme ») et ce jusqu’à la page 149 puis des articles présentant des études de cas sur la situation touristique particulière dans des espaces du Sud : « Tourisme au Mexique : modèle de masse, de l’étatisme au marché », « Biodiversité et logique du développement par et pour l’écotourisme à Madagascar »…
Evitons tout suspens ; il s’agit d’une charge contre les travers du libéralisme et plus particulièrement des conséquences d’une libéralisation du commerce des services dont fait partie le tourisme. Le titre est clair car très rapidement sont identifiés les gagnants et les perdants ainsi que les raisons expliquant cette nette partition.
Avant toute chose, une mise au point est réalisée sur l’industrie touristique. D’abord quelques chiffres, 1,6 milliards de touristes prévus en 2020, un doublement prévu pour les cinq prochaines années, une activité qui représente parfois plus de 50% des revenus de certains états notamment insulaires. Cette croissance touche tous les pays mais les inégalités existent et ce sont les pays du Nord et leurs multinationales qui tirent les marrons du feu.
Toutefois, le tourisme a été présenté comme un mode de développement possible pour les pays en voie de développement car il permettrait un décollage en s’appuyant sur les ressources patrimoniales et naturelles existantes ; il l’est encore mais de plus en plus sous l’étiquette tourisme durable, alternatif, éthique, responsable… Mais les auteurs insistent sur les méfaits de ce modèle qui voudrait que le tourisme soit fatalement bénéfique et dénoncer toutes les conséquences négatives de celui-ci : fuite de devises, sous-emploi de main d’œuvre locale ou emploi à des postes peu ou pas qualifiés, empreinte environnementale, disneylandisation des cultures (voir le livre de Sylvie Brunel, « La planète disneylandisée », http://www.clionautes.org/?p=1085)…

Sont pointés du doigt l’OMT (organisation mondiale du tourisme) accusée de partialité au profit des grandes multinationales du tourisme toutes issues du Nord développé, les firmes multinationales contrôlant toute la chaîne du secteur touristique par le biais du SMD (système mondial de distribution) et du SIR (système informatisé de réservation), les gouvernements, partenaires des deux premiers, permettant le développement d’un tourisme de masse, le tourisme Attila selon Jean-Pierre Lozato-Giotart, (voir, « Le chemin vers l’écotourisme », Jean-Pierre Lozato-Giotart,
http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/schumaines/Eedd/Pages/84_Dossier.aspx)
tel qu’il s’est développé au Mexique ou au Kérala.
Mais l’outil d’une dégradation des termes de l’échange entre Nord et Sud, c’est l’AGCS (accord général sur le commerce des services).
De quoi s’agit-il ? D’une libéralisation des services. Tous les auteurs la dénoncent en cœur car elle représenterait un danger pour les pays en voie de développement ainsi que pour les populations locales dans la mesure où cet accord prendrait le pas sur les lois nationales ou règlements locaux vues comme « des barrières inutiles au commerce des services ».

Voilà pour les gagnants mis sur le banc des accusés par les auteurs. Quant aux perdants, ce sont les pays en voie de développement qui ne reçoivent guère les dividendes d’une activité pourtant fort rémunératrice ; une grande partie des devises est rapatriée par les grandes chaînes hôtelières ou les tours-opérateurs, dans le cas des petites îles, une autre partie est utilisée pour l’importation de matériaux, de biens de consommation introuvables sur place. Enfin l’effet d’entraînement du tourisme sur toute une série d’activités connexes reste à prouver.
Les populations subissent aussi les répercussions de l’activité touristique ; le cas de l’emploi a déjà été évoqué, on peut aussi mettre en lumière les « violences » que représentent les déplacements de populations, l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants.
Enfin l’environnement est menacé par le tourisme, ses infrastructures, ses circuits, ses cohortes de touristes même si l’on peut ajouter qu’il est facile de dire que le tourisme met en danger l’environnement car finalement le seul tourisme qui ne modifierait pas l’environnement c’est l’absence de tourisme. Même les formes de tourisme alternatif comme l’écotourisme, censé être plus respectueux des hommes et des choses, ne trouvent pas grâce aux yeux des auteurs. Dans la plupart des cas, il ne serait que de la poudre aux yeux jetée par les multinationales du secteur, une forme d’alibi leur permettant d’avoir accès à des sites jusqu’ici préservés ; de plus, leur impact économique et leur vertu environnementale resteraient à prouver comme semble le démontrer le cas du parc national de l’Isalo à Madagascar qui ne fournit que peu d’emplois, dont les recettes couvriraient à peine les coûts de gestion du parc et dont la capacité de charge semble atteinte ; Bruno Sarrasin et Haja Ramahatra vont jusqu’à suggérer que la mise en tourisme par le gouvernement malgache de ses ressources naturelles n’aurait eu d’autre but que d’attirer les financements internationaux, faisant passer au second plan les objectifs de réduction de la pauvreté et de protection de l’environnement.
Malgré toutes ces récriminations, le tourisme n’est pas rejeté en tant que tel mais doit subir une mutation intégrant les populations dans la prise de décision concernant les choix à faire ; les états devraient penser à protéger plus efficacement leurs ressources et enrayer libéralisation et privatisation en cours ; nombre d’entre eux ont préféré sacrifier des secteurs jugés non-fondamentaux, ainsi le tourisme, afin d’en sécuriser d’autres comme l’agriculture mais cette voie n’est pas une réussite.

Au final, le contenu de volet d’Alternatives Sud, c’est la démonstration de l’asymétrie existante dans bien des domaines entre le Nord et le Sud, cette opposition gagnants/perdants trouveraient un écho dans de nombreuses thématiques. En ce qui concerne le tourisme, il est certain qu’à la lecture de ces articles, nous avons un point de vue très critique vis-à-vis des acteurs majeurs du tourisme.
Le trait est-il parfois forcé ? Oui sans doute mais peut-être est-ce une étape nécessaire, l’opposition des points de vue divergents, vers l’identification d’un barycentre touristique ou « la moins mauvaise mise en tourisme » que décrit Jean-Pierre Lozato-Giotart.
Ce livre aura donc pour intérêt majeur de nous proposer la version des auteurs du sud dont les voix ne sont pas facilement audibles, cela nous permettra de nuancer nos positions tout en gardant à l’esprit la subjectivité du propos.

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