La ville est le lieu de l’altérité, en raison de la concentration des hommes et des activités qui la caractérise. La rencontre de l’Autre est source de richesses, d’échanges mais aussi d’inquiétudes et de craintes diverses.
Pour se protéger de l’Autre, quoi de mieux que de se barricader ! C’est ainsi que les quartiers sécurisés (ou gated communities) ont vu le jour. Phénomène né aux Etats-Unis, le syndrome de la fermeture de quartiers fermés est arrivé en France. Il est étudié ici depuis les années 2000. Les auteurs de cet ouvrage ont en commun d’avoir participé aux deux programmes de recherche menés sur cet objet. Chercheurs à l’UMR ESO (Espaces et Sociétés), en poste au Mans, ils travaillent sur la question de la fermeture, de la sécurisation et de la surveillance des espaces urbains. Ils entendent par ensemble résidentiel fermé et/ou sécurisé des « complexes d’habitations présentant trois caractéristiques » : mise en place d’un dispositif physique de fermeture, accompagné d’un contrôle d’accès réel (gardien) ou symbolique (télésurveillance) sur un territoire régi par une entité juridique spécifique (copropriété, association syndicale de propriétaires). Cette définition large va au-delà de la simple image des gated communities américaines.
En 2011, ils s’interrogent sur la réalité du phénomène en France en s’appuyant sur les déclarations faites par les promoteurs immobiliers concernant les groupes de logements neufs qu’ils commercialisent. Cette base de données, dont le caractère exhaustif est limité, confirme la prégnance du phénomène dans l’hexagone (40% des 148 promoteurs identifiés mettent en avant la fermeture du bien immobilier à vendre). Se dessine une géographie des quartiers sécurisés centrée sur les villes centres des régions du sud et de l’est de la France ainsi que sur la banlieue de l’agglomération parisienne. Leur étude cherche à montrer que les ensembles résidentiels fermés se banalisent et que les riches ne sont plus les seuls à s’emmurer. Au delà de l’apparition des classes moyennes dans ce parc de logements, le concept de quartiers sécurisés s’étend à l’habitat social.
Cela se fait dans le contexte du « tout sécuritaire » fortement relayé par les médias. Le chapitre « vendre de la sécurité » est particulièrement éclairant pour comprendre les enjeux du discours sécuritaire. Les auteurs travaillent à partir des enquêtes de victimisation et plus particulièrement sur celles qui portent sur l’Ile de France. Ils montrent que si le nombre de délits a fortement augmenté (28 pour 1000 habitants en 2009, en recul par rapport à 1993 mais en forte augmentation par rapport aux années 1950), c’est surtout le résultat de la politique des sociétés d’assurance qui exigent un dépôt de plainte afin de dédommager les assurés. Quoi qu’il en soit, la société dans laquelle on vit est de plus en plus sensible aux phénomènes de sécurité. La privatisation de ce domaine est confirmée : pour quatre gendarmes ou policiers en 2008, on compte désormais trois vigiles ! Même la gauche a cédé aux sirènes sécuritaires. Les maires de gauche ont entamé l’équipement en vidéosurveillance de leur cité.
Le retour sur expérience des habitants à propos de leur choix résidentiel les amène à reconnaître l’ambigüité de leur choix. Pour expliquer leurs choix résidentiels, ils insistent avant tout sur le fait d’habiter un environnement privilégié tant au niveau paysager que social. Le critère sécuritaire ne semble avoir été que secondaire dans leur choix. Ils sont conscients des limites des éléments sécuritaires de leur environnement, d’autant plus que des dégradations à l’intérieur de l’espace fermé peuvent être le fait des habitants eux-mêmes ! Ils légitiment leur choix résidentiel par le fait de se retrouver avec des gens qui sont censés avoir les mêmes valeurs qu’eux. Dans les faits, l’anonymat l’emporte le plus souvent et la convivialité, mise en avant comme argument de vente par le promoteur, n’est pas toujours au rendez-vous.
Les médias sont avides de communiquer sur cette nouvelle manière d’habiter. Ils mettent en avant les dangers de la privatisation de l’espace urbain au détriment de l’idée de territoire et de société républicains. La focalisation sur ces espaces participe paradoxalement à leurs succès. La fermeture est le gage d’un habitat de qualité. Le bilan réalisé par les quatre auteurs tend à confirmer cet engouement pour la sécurisation de l’habitat. Cela va à l’encontre du bilan réalisé par Eric Charmes dans un ouvrage paru au même mois de janvier. Il nie l’essor des gated communities pour mettre en avant l’idée de clubbisation, c’est à dire l’accès réservé à certaines catégories de populations dans certains espaces périurbains par la mise en œuvre du malthusianisme foncier. Finalement, les auteurs de cet ouvrage comme Eric Charmes s’accordent pour reconnaître que les quartiers sécurisés ne sont que les reflets de mécanismes fonciers en œuvre depuis longtemps. « Nul besoin de barrière, ni de portail, ni de grille pour créer des isolats résidentiels : les mécanismes du marché, les politiques foncières, y compris municipales, et les stratégies individuelles ont dressé implacablement et en toute légalité une géographie du logement bien plus imperméable. »
Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes