Alors que Lyon vient de s’embraser lors de la Fête des Lumières, il est bon de se plonger dans l’ouvrage consacré à la ville créative par Elsa Vincent, maître de conférences en urbanisme à l’Institut français d’urbanisme. La créativité est aujourd’hui l’un des pans de la politique de la ville. Elle participe à son attractivité, en combinant les ressources du talent, de la tolérance et de la technologie. Elle prend une place de plus en plus importante et c’est pourquoi ce petit livre est précieux car il permet de faire le point sur l’avancée de cette nouvelle manière de gérer la ville. Il trouve toute sa place dans la collection PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture) qui propose de faire le point, en 80 pages, sur l’avancée de la recherche dans un domaine précis de l’urbanisme.

Cette approche est issue du mouvement engagé par Richard Florida, géographe et économiste américain, avec son ouvrage The rise of the Creative Class : and how it’s transforming work, leisure, community and everyday life, 2002. Il part du principe qu’il existe une classe à part qu’il nomme la « classe créative ». « Cette classe créative serait composée de deux groupes distincts par le degré de créativité de leur activité professionnelle. Le premier groupe, cœur de la classe créative, est constitué par des professionnels engagés dans un processus de création, payés pour être créatifs, pour créer de nouvelles technologies ou de nouvelles idées, comme les scientifiques, les chercheurs, les ingénieurs, les artistes, les architectes, etc. Le second groupe réunit des professionnels habituellement classés dans les services de haut niveau, qui méritent d’être associés à cette classe créative car ils résolvent des problèmes complexes grâce à un haut niveau de qualification et une forte capacité d’innovation. » Cette classe représenterait jusqu’à 30% des actifs dans les pays développés. Son approche s’inscrit dans la continuité de ceux engagés en économie territoriale (années 1990) qui mettaient en évidence l’importance des économies d’agglomérations propres aux métropoles et du tertiaire supérieur.

Les villes cherchent à tirer partie de cette classe créative et à l’attirer. Les villes qui ont souffert de la crise industrielle, conséquence de la mondialisation et des délocalisations, ont misé sur l’ « amélioration du cadre de vie : les espaces verts, les espaces publics et surtout la vie culturelle ». Il s’agit de jouer sur l’avantage comparatif des lieux. La mise en avant de la ville vise à attirer les investisseurs dans le contexte de villes qui connaissent des difficultés pour se reconvertir. Les friches sont des laboratoires pour la créativité urbaine afin d’attirer les « créatifs » des entreprises. L’identification de la ville créative se fait par le biais d’indicateurs, les 3T : le nombre de diplômés bac + 4 (pour mesurer le Talent), le nombre de brevets déposés (symbolisant la place de la Technologie) et la combinaison de plusieurs facteurs pour rendre compte de la Tolérance (nombre de personnes nées à l’étranger, poids de la communauté homosexuelle, mais aussi pourcentage d’actifs exerçant un métier artistique).

Elsa Vincent propose une analyse critique des travaux de Florida. Pour elle, les critères retenus sont insatisfaisants pour juger de la créativité d’une ville. Elle dénonce le « show » mis en œuvre par Florida pour décrocher des contrats dans les villes en crise. La notion même de classe est remise en cause au nom de l’absence d’unité des gens qui sont créatifs. Malgré tout, si cette idée de ville créative « pourrait être interprétée comme un projet politique libéral, au sens américain du terme c’est-à-dire plus tolérant en matière de vie et de choix de vie. », on voit mal comment canaliser la créativité dont le propre est de se manifester là où on ne l’attend pas. Elsa Vincent pense, qu’au-delà de ces réserves, le concept peut être un outil de programmation de l’action politique et le vecteur de mutations urbaines contemporaines.

Elsa Vincent, à partir des exemples de Chalons en Champagne (le cirque), Belleville (rock alternatif) remonte pour cela le temps (les années 1980) pour montrer comment l’art engage un processus de gentrification. Elle analyse la manière dont le processus créatif gagne à se territorialiser dans certains quartiers. La gentrification, qui s’accompagne d’un traitement volontariste du paysage foncier, fait disparaître la Bohême spontanée à l’origine du quartier. Elsa Vincent se demande si la ville programmée des créatifs reste créative. L’auteur ne croît pas à la reproduction du modèle de la ville créative. Les urbanistes ne semblent pas accorder assez d’importance à la sérendipité (le rôle du hasard dans les lieux). Elle doute que cela puisse se faire de manière artificielle. Il semblerait, pourtant, qu’avec l’ouverture du Centre Pompidou Metz et les bons chiffres de fréquentation, « la sauce est prise ». Espérons que cet exemple va faire mentir Elsa Vincent.

© Catherine Didier-Fèvre