Publié initialement au Japon en 2010, Raspoutine le patriote est proposé au public francophone en cette fin d’année 2022 aux éditions Delcourt. Ce manga, que l’on peut rattacher au genre seinenManga destiné à un public majoritairement masculin adulte plonge le lecteur dans un récit voulant dénoncer la folie kafkaïenne d’une administration.
Kafka au pays du Soleil Levant
L’histoire nous emmène dans la vie du jeune fonctionnaire du Ministère des Affaires Etrangères japonais Mamoru Yuki. Ancien élève à la faculté de théologie de Tokyo, Yuki était entré au Ministère des Affaires Etrangères afin de pouvoir poursuivre ses études sur le bloc de l’Est en pleine période de guerre froide. C’est en raison de son appétence pour le monde slave, et en raison des accusations d’abus de confiance au profit d’une puissance étrangère : la Russie, que ce dernier se retrouve surnommé dans la presse nipponne le Raspoutine des affaires étrangères.
Arrêté au ministère, conduit en détention, Yuki a perdu toute humanité et est devenu le prisonnier 1095. Enfermé dans sa cellule, ce dernier se remémore son parcours au sein du Ministère des Affaires Etrangères. Yuki se fit remarquer par ses supérieurs en 1991 en obtenant en premier des informations sur l’état de Mikhaïl Gorbatchev à la suite du coup d’Etat des orthodoxes du PCUS. À tel point qu’il attira le regard et l’intérêt de Mineo Tsuzuki, sous secrétaire aux Affaires Etrangères au début des années 1990.
En étant arrêté, Yuki comprenait que la véritable cible de cette vaste enquête et de cette procédure était Tsuzuki. Régulièrement interrogé par le procureur Takamura, Yuki se lance dans un véritable bras-de-fer avec une administration judiciaire pour laquelle il devenait primordial de bâtir un récit est un narratif prouvant sa culpabilité.
Tout au long des pages du manga, le bras-de-fer entre le procureur et le diplomate japonais nous ramène sur le parcours du sous-secrétaire aux Affaires Etrangères Tsuzuki. Natif d’Hokkaido, ce dernier a voué sa carrière à la rétrocession des îles du Nord occupées par l’URSS à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. En se rapprochant de la Russie, ce dernier espère obtenir des concessions et récupérer ces territoires perdus auquel il voue une attention toute particulière.
L’ensemble du manga prend la forme d’un procès kafkaïen : Yuki, bien que présenté en Raspoutine nippon, n’est coupable de rien. Pour autant, dans le narratif du procureur, à coup d’interrogatoires incessants, se construit une histoire cousue de fil blanc. Yuki est la créature de Tsuzuki. Menacé par ce dernier et gêné dans ses promotions, Yuki est devenu son objet en jouant plus d’une fois avec la loi et en franchissant la ligne rouge : corruption, fraude, abus de confiance.
Tout est bon pour amener Yuki à craquer et à dénoncer son supérieur. Il sera, à de multiples reprises, sur le point de le faire. Mais ce dernier n’entend pas se laisser faire et résiste tout du long, bien décidé à défendre son honneur, celui du Ministère des Affaires Etrangères, et celui de Tsuzuki qui apparaît comme un homme déterminé et passionné mais en aucun cas un traître à la nation comme le sous-entend le ministère de la justice.
Le premier tome de cette série se clôture sur la mise en examen de Yuki, qui devra poursuivre, au cours des prochains tomes, ce combat contre une machine implacable, une bureaucratie qui a décidé de broyer ses agents.