Le fils de Taïwan de Yu Pei-Yun (autrice) et de Zhou Jian-Xin (illustrateur) est un manhua (nom donné à la bande dessinée dans le monde chinois. L’ouvrage se lit de la gauche vers la droite) évoquant la vie de l’éditeur Kunlin Tsai, victime de la répression politique durant sa jeunesse et devenu militant des droits de l’homme .
Conçu comme un quadriptyque, Le fils de Taiwan découpe en « grandes tranches de vie » le parcours de ce personnage hors norme.
Le premier volume (« Le garçon qui aimait lire ») s’étend ainsi de 1930 à 1950 et évoque la jeunesse de Kunlin Tsai et la période de la colonisation japonaise de l’île. Le second (« Dix ans sur l’île Verte ») va de 1950 à 1960 et est consacré aux dix années de détention de Kunlin Tsai. Le troisième (« L’ère du Prince ») couvre les années 1961 à 1969 et se fixe sur l’aventure éditoriale du magazine pour enfants « Prince » fondé par le protagoniste du manhua.
Enfin, un dernier opus (« Je souffle dans le ciel tel un millier de vents ») embrasse une période de cinquante années de la vie professionnelle et militante du héros de ce roman graphique, de 1970 à 2020.
Zhou Jian-Xin écrit à propos de cette œuvre (p.7) qu’il s’agit d’un « manhua documentaire qui décrit le développement historique de Taïwan en se concentrant sur la vie d’une victime politique ».
Pour chaque grand volet, l’illustrateur a choisi de faire évoluer ses représentations des périodes considérées.
Le premier volume, objet de la chronique, laisse ainsi une grande place à des techniques rappelant « le monde de l’enfance » avec des dessins aux crayons et l’emploi de la couleur rose.
Kunlin Tsai, huitième enfant d’une fratrie qui en compte dix, est né en décembre 1930. Il grandit dans une famille heureuse et soudée appartenant au monde commerçant de la ville de Kiyomizu (actuel district de Qingshui). Manifestant des réelles aptitudes intellectuelles et passionné de littérature, il intègre le « lycée premier de Taichung ». L’encadrement y est militaire, les élèves apprenant à faire de longues marches de plusieurs kilomètres en uniforme ou creusant des tranchés.
A l’âge de quatorze ans, en pleine guerre, Kunlin Tsai est enrôlé comme « étudiant-soldat » dans l’armée japonaise. Le 25 octobre 1945, Taïwan est reprise par la République populaire de Chine.
En septembre 1946, Kunlin est admis en seconde au lycée de Taichung et la propagande japonaise laisse la place à celle du Kuomintang. Faisant face à une crise économique, Taẅan voit une série de manifestations sociales éclater à la suite notamment de « l’incident 228 (le 28 février, d’où le nom de 228, les forces de l’ordre tirent sur la population à l’occasion d’un contrôle de vente de cigarettes de contrebande) ». La répression est terrible et, en 1949, la loi martiale est instaurée. La « terreur blanche » débute cette même année, oppression politique dont va être victime Kunlin Tsai.
Celui-ci, diplômé du lycée et devenu fonctionnaire municipal, se voit arrêter par un gendarme pour avoir participé à un club de lecture durant ses études secondaires. Il restera prisonnier dix ans sur « l’île verte ».
Le fils de Taïwan est une vraie merveille graphique, rédigée avec beaucoup de subtilité.
L’ouvrage comporte, en sus de la biographie de Kunlin Tsai, une frise chronologique détaillée et une série de mises au point sur les différents lieux ou événements évoqués dans l’album.
A découvrir absolument !
Grégoire Masson