Le livre d’un homme politique qui tente une analyse de la crise congolaise. Il met en regard une réflexion théorique, l’histoire des idées en Europe et leur incarnation politique et sociale et l’aventure congolaise depuis l’indépendance. Un bilan sévère de 40 ans d’indépendance d’un pays riche par son sol et son sous-sol et de misère pour sa population. Une réflexion sur les enjeux, les obstacles et les points d’appui pour sortir de la crise congolaise.

L’auteur Philémon Mukendi Tshimuanga, né en République Démocratique du Congo est docteur en Philosophie. Après une carrière au Centre bruxellois d’Action Interculturelle, il rentre au Congo en 1997 pour occuper diverses fonctions ministérielles dans les gouvernements de Laurent-Désiré Kabila (Jeunesse et sports) et depuis 2003 de son fils Joseph Kabila (vice-ministre de l’Intégration de l’armée puis de ministre de la Culture et des Arts). Membre du “Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie” de J. Kabila dont il est secrétaire adjoint en 2004 c’est donc un homme politique qui tente ici une analyse de la crise congolaise.

L’auteur dresse un bilan économique et social: un pays riche et un peuple pauvre, il passe en revue les différents aspects de l’habitat et de l’hygiène, eau et malnutrition, une agriculture potentiellement riche mais un pays qui importe du riz, du maïs, du poisson, un pays où l’emploi formel est marginal. Un tableau sans complaisance.

Le chapitre 2 ouvre une réflexion plus “philosophique” sur la crise de la culture: un enseignement en français et en même temps qui ferait trop peu de place au théâtre et aux cours de bienséance, la place des religions et le poids de l’appartenance ethnique mais aussi une dénonciation de la corruption et l’absence d’une politique culturelle à la gloire des “héros” de l’histoire nationale. Enfin l’auteur dénonce les musiques urbaines qui entraînent un “dévergondage” de la jeunesse… un chapitre plutôt polémique, attaque contre l’époque Mobutu et plaidoyer pour son action comme ministre de la culture.

Pour l’auteur la culture doit être le centre de la refondation de l’homme congolais. Sa réflexion sur les relations entre tradition et modernité permet d’aborder la complexité de la crise identitaire congolaise. Si la vie urbaine montre une certaine occidentalisation et modernité c’est plus une façade car le système socio-familial traditionnel imprègne la vie publique (pressions claniques, exigences de solidarité, légitimité religieuse du pouvoir). La question fondamentale est celle de l’adoption d’éléments de modernité, d’appui sur les valeurs traditionnelles pour fonder un état pluri-ethnique sans copier l’occident. L’enjeu est en fait une démocratie à inventer: lutter contre le clientélisme, les abus de pouvoir et la corruption à tous les niveaux de la société, impliquer la société civile dans la vie politique. Les obstacles signalés portent sur les excès de certaines formes de religion: fétichisme, obscurantisme et déresponsabilisation mais aussi la faible formation des élites. L’auteur propose une pédagogie du patriotisme fondé sur la connaissance de l’histoire pré et post coloniale, de l’art pour habiter et construire ensemble le même territoire.

Pour mettre en oeuvre cette idée un chapitre est consacré à la recherche de bases idéologiques. La “négritude” de Senghor ou l’ “authenticité” chère à Mobutu sont analysées comme figeant la culture, enfermant l’Afrique dans la tradition. Le socialisme ou le libéralisme ne sont pas des solutions dans un ordre mondial inégalitaire, l’auteur fait le constat de l’absence d’une idéologie porteuse d’espoir et mobilisatrice des énergies indispensables pour sortir de la crise. Seule une analyse de la situation avec pour horizon l’indépendance économique et culturelle, le développement endogène peut créer une alliance entre élite et masses populaires, ce qui implique de repenser les partis politiques, de rompre avec le parti unique et l’ethnicité. Les partis doivent s’organiser, informer, mobiliser l’électorat et expliquer les enjeux collectifs.

Pour l’auteur, seule la mobilisation de la jeunesse peut être une solution, d’autant plus difficile qu’il y a à la fois une crise de la famille et de l’école, un chômage généralisé et une faible vie associative. Lutter contre deux réalités: les enfants-soldats et les enfants des rues semble une priorité mais aussi restaurer des valeurs comme le patriotisme, la conscience nationale, l’abnégation et le respect des règles et des biens publics grâce à l’instauration d’un service civique obligatoire.

Ce livre est le “programme politique” d’un homme qui se pose la question fondamentale “Sommes-nous une nation?”