Alors que nous venons récemment de commémorer les 150 ans de la Commune, à Paris et dans plusieurs villes et régions de France, les éditions la Découverte font reparaître un ouvrage devenu depuis un classique de l’historiographie sur la Commune. Oeuvre de Paul Lidsky, agrégé de lettres modernes, Les écrivains contre la Commune est une étude minutieuse du traitement des évènements de mars à mai 1871 dans la littérature française contemporaine et postérieure. 

Prenant pour point de départ l’hostilité presque totale des écrivains français contemporains, Paul Lidsky tente, au cours de son étude, d’en étudier les causes et les ressorts littéraires. 

L’homme et l’écrivain face aux évènements révolutionnaires de la Commune

Le constat dressé par Paul Lidsky est sans ambage : à l’exception notable de « Vallès, de Rimbaud, de Villiers de l’Isle-Adam qui sympathisent plus ou moins avec la Commune, de Victor Hugo qui adopte une attitude de neutralité durant l’évènement »Paul Lidsky, Les écrivains contre la Commune, page 12 , la totalité des écrivains français s’opposent et condamnent la révolution. 

Cette opposition plonge ses racines dans les désillusions et déceptions portées par 1848. L’idéalisme des premiers temps a laissé place rapidement, face aux rêves déçus, aux regrets et à l’amertume de n’être pas parvenu à éduquer et sensibiliser le peuple nouvellement citoyen (pour les hommes). Cette déception s’accompagne d’une inquiétude : celle du déclassement face à la montée d’un prolétariat contestant l’ordre social établi et dans lequel les écrivains français se sont peu à peu embourgeoisés. Recherchant la gloire et la reconnaissance du régime impérial de Napoléon III, progressivement, tous ces écrivains, vieillissant et ayant perdu l’enthousiasme de la jeunesse, se rallient au régime et deviennent « entièrement domestiqués » Ibid page 19. 

Si les écrivains dénoncent la bourgeoisie qu’ils contestent dans ses moeurs et ses modes de vie, ils ressentent une solidarité économique et sociale avec elle, face aux « masses », présentées comme une nouvelle menace « nouveaux Barbares qui vont envahir la Cité »Ibid page 27. Se développe une conception aristocratique du rôle et de la place de l’écrivain, désireux de gagner  sa place dans les élites et vivre du mécénat des riches fortunes oisives, seules aptes à comprendre et développer un discours sur les arts. 

Ce double antagonisme qui parcourt le monde littéraire va trouver une solution dans un refus de plus en plus marqué de s’investir dans le monde politique et se retirer dans une « tour d’ivoire »Ibid page 35, défendant « l’art pour l’art ». L’art doit viser le Beau et non l’utilité. L’engagement politique détourne l’artiste de son but premier qui n’a aucune finalité pratique et utilitaire. Flaubert va être un des chefs de file de cette approche refusant toute récupération, se consacrant uniquement à l’écriture. En se coupant ainsi de l’extérieur le monde littéraire se coupe des évolutions sociales et sociétales de son temps. 

La réaction aux évènements

Le monde littéraire est fractionné en trois grandes familles au moment où éclate la Commune :

  • La grande majorité des auteurs sont rangés dans l’apolitisme, que Paul Lidsky désigne comme aristocratique, et suivent le mouvement de l’art pour l’art.
  • Une fraction minoritaire des auteurs est conservatrice et royaliste pour certains (Daudet)
  • Une fraction républicaine et modérée (Sand, Zola)

Néanmoins, quelques soient les tendances, les réactions ne varieront que peu. Le soulèvement du 18 mars est globalement condamné par toutes et tous : la « canaille » se soulèveIbid page 49. Les causes politiques et sociales sont rejetées au profit d’une fatalité : celle qu’impose une horde de brigands profitant du siège de la ville pour la livrer à l’anarchieIbid page 50. Le moteur de telles actions est l’envie, la jalousie. Loin d’une lutte sociale c’est une guerre entre le Bien et le Mal qui jaillit. La condamnation gagne également les écrivains moins conservateurs, comme Zola (qui  parle d’émeuteIbid page 55) ou Sand (« parti d’exaltés »Ibid page 56). Seuls quelques auteurs modérés et républicains, bien que condamnant la violence, auront une lecture plus nuancée de l’évènement, certains hésitant d’ailleurs à le soutenir (Catulle Mendès). 

La dépolitisation de l’évènement passe par la recherche de causes extérieures qui expliqueraient le soulèvement. Le premier de ces moyens est de dépeindre les leaders de la Commune comme des fous et des ambitieux, incarnations de Rastignac à la recherche de fortune et de gloire. Les premières cibles sont les artistes, notamment Vallès et Courbet, dépeints comme des « fous dangereux »Ibid page 65, des « têtes de pions, collets crasseux, cheveux luisants, les toqués, les éleveurs d’escargots, les sauveurs du peuple, tous les mécontents, les déclassés, les tristes les traînards, les incapables »Ibid page 64.

Ces leaders commandent à des masses incultes, sorties des égouts et frappées par l’alcoolisme. La littérature anti-communarde réserve une place particulière à la femme, archétype également dépeinte comme « obscène, hideuse, féroce » Ibid page 67. A ce titre citons la sentence terrible d’Alexandre Dumas : 

« Nous ne dirons rien de leurs femelles par respect pour les femmes à qui elles ressemblent – quand elles sont mortes » Alexandre Dumas fils, Une lettre sur les choses du jour, p16

Les écrivains ignoreront complètement les réformes de la Commune, les assimilant à des délires psychiatriques. Seules quelques mesures feront réagir, notamment sur les remises aux locataires qui impactent les propriétaires fonciers que sont devenus les écrivains français (notamment Flaubert qui fulmine). La Semaine Sanglante est accueillie par une grande part du monde littéraire avec soulagement, bien que certains aient espéré une conciliation (Zola et Mendès entre autres). Beaucoup reprocheront la tiédeur de Thiers et ses atermoiements, et approuveront la répression et l’usage d’une violence implacable pour éviter le retour de ces « folies ». Néanmoins les incendies qui se répandent dans la capitale seront accueillis avec horreur, signes funestes de la fin des temps et de la civilisation. C’est le début du mythe de la pétroleuse. 

Le calme revenu, le monde littéraire va naviguer entre deux postures différentes :

  • Une partie va définitivement se réfugier dans l’art pour l’art (Flaubert notamment)
  • Certains se sentiront une obligation et un rôle à jouer dans le relèvement du pays

Les écrivains les plus conservateurs (citons à cet effet Alexandre Dumas) vont appeler à l’union nationale derrière Thiers et à l’extinction des querelles et des divisions pour les années à venir. Quiconque s’opposerait à la politique de la nouvelle République sera assimilable aux communards et partisan de l’anarchie. Tout individu réclamant la clémence sera considéré comme partisan de la mort de la France, un prussien. Cela sera le cas de  Victor Hugo, qualifié par Barbey d’Aurevilly d’« employé volontaire de la Prusse »Barbey d’Aurevilly, un poète prussien, 1872.

Très vite ces auteurs fixeront les origines de la Commune dans le sentiment républicain, qui « éveille les convoitises et l’envie et pousse à un ravalement de la société »Paul  Lidsky, op.cit page 87. Ils préconisent un redressement aristocratique du pays et une réforme du suffrage universel, afin de contenir les caprices d’un peuple qui sera éternellement mineur. Une grande partie des auteurs conservateurs, loin de rejoindre Sand dans sa proposition de développer l’instruction primaire afin de contenir les émotions populaires, prônent et défendent une éducation bourgeoise pour créer une élite intellectuelle devant éclairer le pays. 

La réaction littéraire

Paul Lidsky, dans la dernière partie de son étude, note le décalage entre la condamnation globale de la Commune et la faiblesse des réactions littéraires anti communardes. Lidsky attribue cela à la difficulté de concevoir des oeuvres contre-révolutionnaires et à la domination d’un « matériel non littéraire »Ibid page  98 abondant et analysé précédemment. Les quelques oeuvres anti-communardes tâcheront de dépolitiser l’évènement en réduisant le mouvement à des stéréotypes. Nous pouvons en dénombrer cinq bien distincts :

  • Le jeune déclassé, modèle de l’individu exalté et déséquilibré provincial monté à Paris pétri d’ambitions et qui, déçu et aigri, s’engage dans la Commune non par militantisme idéologique mais par opportunisme. Ce type prend forme sous les traits de Maurice Levasseur dans la Débâcle de Zola. Le parcours de ces individus exalte, par effet de miroir, l’importance des traditions et de l’enracinement familial. 
  • Le mauvais ouvrier, socialiste alcoolique et violent se retrouve dans la plupart des titres de l’époque. Derrière cette description se cache un rejet social, et presque racial des franges les  plus basses de la société. L’image du mauvais ouvrier parcourt toute la littérature de Zola qui en donne des portraits hideux et déformés par les sentiments et les ressentis : la bassesse morale de l’ouvrier entraine et accompagne une déchéance physique. 
  • Le voyou est l’accomplissement de la trajectoire empruntée par le mauvais ouvrier. Si ce dernier est grand et fort, le voyou est sournois et petit : « c’est le Mal fait homme »Ibid page 113. Le voyou complète un tableau racial dessiné avec l’ouvrier et qui conduit à assimiler la Commune au banditisme et à la criminalité. Association qui culmine dans Germinal où Etienne Lantier porte le crime dans son sang et Jeanlin tue par envie. 
  • La communarde, évoquée précédemment.
  • Le soldat versaillais, peu présent, symbolise néanmoins le Bien et contrebalance le Mal de la Commune. La figure de Jean Macquart, tiré de la Débâcle, illustre ce stéréotype. Tout opposé à Levasseur, Jean est un modèle de sagesse et d’humilité qu’il puise dans son enracinement et son respect des traditions. 

La construction de ces stéréotypes se fait à la faveur de thématiques récurrentes dans les oeuvres contemporaines. Paul Lidsky en relève trois principales : 

  • La fièvre obsidionale. Les causes de la Commune sont à chercher dans les angoisses provoquées par le siège de la capitale selon plusieurs auteurs. Ce thème séduit notamment Zola, lui permettant encore plus de dépolitiser l’évènement. 
  • La culture pervertisseuse. Cette thématique se rattache directement aux théories aristocratiques concernant l’éducation de la population. Donc il ne saurait y avoir de culture moyenne mais seulement une culture élitiste. « Une culture sommaire est pire que l’ignorance »Ibid page 130 car elle ôte à l’individu l’innocence primaire. « il apparait que l’idéal, pour les écrivains, c’est, sans paradoxe, l’analphabète simple et consciencieux qui fait son devoir sans se poser de questions »Ibid page 132. 
  • La famille et le travail. Ces thématiques illustrent l’ordre social et moral que le monde littéraire chercher à raffermir. La Commune, en prônant la libre union et la libération des femmes, ruine la famille. Elle la ruine d’autant plus qu’elle détourne les individus des joies personnelles et militant politiquement. Cet idéal de bonheur familial ne saurait être atteint sans l’effort et le travail, à l’inverse de l’oisiveté des communards (voir les stéréotypes du jeun déclassé et du mauvais ouvrier).