Les ouvrages sur la Waffen SS sont nombreux, et celle-ci est souvent en première page des magazines de vulgarisation consacrée à la Seconde Guerre mondiale. Mais la plupart de ces titres ont en général une approche purement événementielle , limitée aux opérations militaires et laissant largement de côté la participation de ces unités à de nombreux massacres et crimes de guerre. Ce n’est pas du tout le cas de l’ouvrage que nous livre ici Xavier Bougarel. Celui-ci s’inscrit plutôt dans la lignée des travaux d’un Jean-Luc Leleu et adopte une approche globale.

En tant que spécialiste des Balkans, Xavier Bougarel a choisi de s’intéresser à la 13° division SS, dite « Handschar » (poignard), unité formée en Bosnie avec un recrutement majoritairement musulman. Il s’efforce de nous montrer les origines de ce recrutement pour le moins surprenant en étudiant les motivations réciproques de Himmler et des musulmans tant sur le plan politique que sur celui des motivations individuelles. Mais aussi l’évolution de cette troupe depuis sa formation jusqu’à sa désintégration finale sans oublier son rôle lors de la lutte contre les partisans communistes en Bosnie,. Pour cela il n’hésite pas à croiser les archives des différents états de l’Ex-Yougoslavie avec les archives allemandes et françaises ainsi que les témoignages des survivants de l’unité qu’il a pu rencontrer.

Aux origines de la division, des motivations diverses.

La propagande nazie a tendance a présenter cette division comme le symbole de la bonne entente entre Himmler et les musulmans, incarnée par le soutien apporté par le mufit de Jérusalem à sa création. La réalité est bien plus complexe à l’image de la situation des musulmans dans l’espace bosniaque.

Spécialiste des Balkans, l’auteur n’a guère de mal à nous replacer cette création dans le contexte de la Yougoslavie des années 30-40, n’hésitant pas à illustrer son propos à l’aide de cartes forts lisibles. L’invasion allemande aboutit à la création d’un état fantoche oustachi, le NDH qui englobe dans son territoire la Bosnie-Herzégovine qui comprend des croates, serbes et musulmans. A l’intérieur de celui-ci les oustachis mettent en place une politique antisémite mais également antiserbe qui ne fait qu’exacerber les tensions entres groupes ethniques. La résistance s’organise en deux mouvements antagonistes. D’un côté, les partisans communistes, qui après des débuts difficiles, s’affirment comme une force avec laquelle il faut compter en raison de leur combativité et de leur capacité à intégrer croates et musulmans. De l’autre, les tchetniks qui ne défendent que les Serbes et qui finissent même localement par collaborer avec l’occupant si cela peut leur être utile. Dans ce contexte, les musulmans peinent à se faire entendre, à être protégé, malgré la création de quelques milices type DOMDO.Ce manque de reconnaissance est une des motivations de la position pro allemande de certains et de leur participation à la SS. Ils espèrent y trouver protection pour eux et leurs familles, ainsi qu’une amélioration de leurs conditions de vie. Ils bénéficient de plus de l’appui du mufti de Jérusalem qui multiplie les démarches en faveur de la création d’une telle unité.

Du côté nazi, en raison de la faiblesse et de la déliquescence de l’état oustachi, les forces allemandes et la Waffen SS étendent leur emprise sur le NDH, s’appuyant notamment sur les Volksdeutsches. Ils doivent cependant ménager leur allié croate et c’est après de nombreuses hésitations qu’en février 1943, est finalement prise la décision de créer une division SS à recrutement majoritairement musulman, mais avec un encadrement allemand (majoritairement Volksdeutsche). La décision est prise par Himmler qui entend bien en écarter les oustachis au grand dam de ceux-ci. Himmler voit dans les musulmans bosniaques, des « hommes balkaniques » susceptibles d’être civilisés par le Reich et les adeptes d’une religion de combat. Un moyen aussi de montrer la bonne entente du Reich avec ces populations et donc d’essayer de rallier les musulmans du monde entier. Les Allemands y voient aussi , et surtout, un moyen d’accroître leurs forces militaires en confiant aux Bosniaques la lutte anti-partisans de manières à pouvoir redéployer leurs propres troupes ailleurs.

Un recrutement difficile.

Les débuts sont cependant laborieux. Le soutien de certains intellectuels s’effrite, la peur d’être envoyé sur le front russe où la situation militaire se dégrade et les obstacles mis par le gouvernement oustachi font parti des nombreuses raisons qui freinent la montée en puissance de la division. La communauté musulmane est divisée, et selon les situations locales, les tentatives de recrutement ont plus ou moins de succès : de l’engagement individuel à celui de toute une milice. Un recrutement qui est parfois forcé et peu sélectif : on accepte des prisonniers d’anciens partisans… Il y a à la fois des pression sur les familles et la promesse d’un bon salaire ou d’aides aux familles… Il faut finalement recourir à la conscription pour combler les rangs de l’unité. L’auteur se livre ici à une analyse du profil sociologique des SS musulmans qui montre à la fois la diversité des situations et l’importance des couches populaires et des réfugiés en son sein. Il analyse également le rôle des imans au sein de cette unité si particulière et la manière dont est prise en compte de la religion par les autorités allemandes. La description des situations locales ou individuelle montre cependant des retournements de situation fréquents.

L’encadrement est à 90 % allemand, mais il est plus le fait d’affectation d’hommes venant d’autres unités que d’un volontariat spécifique pour servir dans la Handschar. Il s’agit soit d’allemands de souche soit de Volksdeutsches recrutés dans les Balkans. Les tensions sont parfois fortes entre les hommes et l’encadrement.

Pour les musulmans, la division doit avant tout servir à protéger leur communauté et donc rester en Bosnie. Une partie des élites y voit aussi un rempart contre le communisme. Or, pour sa formation, celle-ci est envoyée dans le sud-ouest de la France puis en Allemagne ce qui les effraie. La cohésion de l’unité est ébranlée, les actes de défiance nombreux à l’image de la mutinerie de Villefranche de Rouergue en septembre 1943 lors de laquelle les mutins exécutent leurs officiers avant que l’iman de l’unité et l’envoi de renforts ne permettent de rétablir la situation. Cela entraîne l’exécution d’une trentaine de mutins et la purge de 800 hommes envoyés en camp. Il est intéressant de noter que dans la mémoire locale villefranchoise ,on parle d’une révolte de soldats croates sans mention de leur appartenance à la SS ou de leur origine ethnique.

Un engagement au combat peu probant

La division va être engagée principalement dans la lutte contre les partisans à partir de la fin février 1944 et ce jusqu’en octobre 1944, moment où les désertions et révoltes ne cessent de s’amplifier et finissent par provoquer la dislocation de l’unité. Il y aurait eu au total près de 6000 déserteurs. Les causes sont multiples: l’unité refuse d’être engagée ailleurs qu’en Bosnie, la dégradation générale de la situation militaire, la propagande des partisans… Si la plupart des déserteurs rentrent simplement chez eux, d’autres(un millier?) rejoignent les rangs des partisans. Aux hommes restant est donné le choix entre rejoindre des unités de travailleurs (forcés…)ou continuer le combat, choix que font à peu près la moitié des membres de l’unité. Dès lors certains détachements vont être engagés contre l’armée rouge en Hongrie puis en Autriche tandis que d’autres continuent le combat en Croatie au sein d’unités disparates.

C’est donc dans la lutte contre les partisans que la division a surtout combattu. L’auteur analyse les stratégies mises en place par l’unité et les autorités allemandes qui tirent parti de leur expérience de la lutte anti-partisans en Russie mais qui entendent aussi gagner l’appui de la population. La division se voit attribuer en février 1944 un « espace de pacification » de 90 km sur 60 dans le nord est de la Bosnie. Une zone majoritairement peuplée de musulmans mais qui comprend aussi des communautés serbes et croates. De février à avril elle repousse les partisans hors de la zone. Mais ceux-ci ne tardent pas à revenir et l’on voit apparaître des accords locaux entre les SS et certains groupes tchetniks pour lutter contre les partisans. La situation est d’autant plus complexe, que dans les villes, l’autorité de l’état croate demeure ce qui est source de tensions avec les SS.

Lors de ces opérations, les massacres sont nombreux, plusieurs milliers de victimes (la plupart serbes)qualifiées de partisans, mais en réalité bien souvent de simples civils dont les villages ont été brûlés et pillés. Si les villages musulmans sont plus épargnés c’est aussi car certains hommes en sont originaires. Les exécutions visent aussi les Juifs, mais la division en exécute peu, la plupart de ceux qui vivaient dans la zone sont déjà morts victimes des persécutions oustachies.

Ces violences s’accompagnent également de pillages, l’unité devant vivre au maximum sur le terrain. La stratégie de pacification menée doit s’accompagner d’une mise en valeur économique du territoire contrôlé qu’analyse finement l’auteur. Cet aspect, souvent méconnu, est pourtant un des objectifs clés assignés à l’unité : préserver les productions locales, permettre leur exportation, pourvoir aux besoins de la division et de la population amie. Pour cela un véritable quadrillage de la zone est prévue avec autorités civiles, mobilisation de main d’œuvre, directives sur le travail et la vie politique.. Cela s’inscrit dans la logique de certains projets « utopiques » nazis mais se heurte à la réalité du terrain. Une situation militaire difficile et des rapports complexes entre les différents groupes présents : autorités du NDH en ville, tchetniks serbes à qui on confie la défense des zones orthodoxes etc.

Conclusion

Une très bonne étude qui va largement au-delà de ce que pourrait laisser sous-entendre le titre. A travers l’étude de cette division, l’auteur nous plonge dans la complexité de l’espace yougoslave et des relation inter-ethniques durant la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs conflits se superposent, celui contre l’occupant allemand ou italien et ceux qui opposent les différents groupes (oustachis, tchekniks, partisans, SS…). Les choix des individus ou communautés déterminent l’allégeance à telle ou telle faction mais n’excluent pas, des changements de camp en fonction des préoccupations locales et des intérêts matériels.