Ce livre est issu de la thèse soutenue par Diane C. Margolf à l’Université de Yale en 1990. Il s’agit d’un livre important sur une institution du XVIIe siècle jusque là méconnue, la Chambre de l’Édit du Parlement de Paris.
L’histoire des chambres de l’Édit, dites également chambres mi-parties, trouve ses origines dans les conflits religieux du XVIe siècle. En 1576, l’Édit de Beaulieu (la Paix de Monsieur) décide en effet la création de telles institutions au sein des huit parlements du Royaume. Ces chambres, composées d’un nombre égal de magistrats catholiques et réformés, sont supposées juger en appel toutes les affaires civiles ou criminelles impliquant des parties protestantes. La décision de 1576 est cependant modifiée dès 1577 : l’Édit de Poitiers n’oblige pas à une partition strictement équitable entre conseillers catholiques et protestants. Seule la chambre couvrant le ressort du Parlement de Toulouse, ouverte en 1579, est véritablement mi-partie. L’histoire de ces institutions est cependant très chaotique jusqu’en 1598. L’Édit de Nantes donne une nouvelle légitimité aux chambres de l’Édit. Si celles de Guyenne, Castres (pour le Languedoc) et Grenoble sont mi-parties, celle de Paris n’est composée que d’un seul magistrat protestant (un des quatre du Parlement, par roulement) contre quinze conseillers catholiques. Le ressort de l’institution parisienne est très vaste : sa juridiction s’étend au-delà de celle du Parlement, jusqu’en Bretagne et en Normandie. La création de la Chambre de l’Édit de Rouen (août 1599) diminue cependant sa compétence géographique (voir à ce sujet les articles d’Eckart BIRNSTIEL, « Les chambres mi-parties : les cadres institutionnels d’une juridiction spéciale (1576-1679) », dans Jacques POUMAREDE et Jack THOMAS (éd.), Les Parlements de Province. Pouvoirs, justice et société du XVe au XVIIIe siècle, Toulouse, Framespa, 1996, pp. 121-138, et de Bernard BARBICHE et Stéphane CAPOT, « Chambres de l’Édit », Dictionnaire de l’Ancien Régime, (1996), Paris, P.U.F., « Quadrige », 2003, pp. 227-229).
L’histoire des chambres mi-parties est naturellement liée au statut ambigu octroyé aux protestants par l’Édit signé à Nantes le 30 avril 1598. Les Réformés sont certes intégrés à la nation et à l’ordre politique désormais régulé par le droit. Mais les privilèges qui leur sont accordés soulignent aussi leur particularisme. Diane Margolf montre parfaitement, dans son premier chapitre, le caractère complexe des chambres mi-parties, reflet du savant mélange de « protection et de limitation » qui définit le statut des protestants au XVIIe siècle (p. 21). Les chambres de l’Édit ont pour mission essentielle d’assurer la paix et l’ordre social en garantissant aux protestants un traitement spécifique. Mais le pouvoir royal n’a jamais voulu en faire des institutions réformées, séparées des parlements. Il reste que les protestants ont toujours considéré ces chambres comme une garantie essentielle de leurs droits. Le rôle des consistoires et des synodes, eux-mêmes outils de régulation sociale dans les communautés huguenotes, n’a pas empêché le recours à la justice royale.
Le chapitre 2 présente le fonctionnement de la Chambre de l’Édit de Paris et les sources utilisées. Les magistrats qui la composent au début du XVIIe siècle ont eu des parcours très divers. Certains ont même un temps soutenu la Ligue (p. 51). L’institution a vu aussi passer de grands juristes. De 1601 à 1603, elle est présidée par le célèbre Jacques-Auguste de Thou (1553-1617), historien et négociateur de l’Édit de Nantes. La présence d’un seul conseiller protestant et les changements fréquents de magistrats – sur les 57 conseillers attestés à la Chambre de l’Édit pendant la première décennie du XVIIe siècle, 40 ne dépassent pas les trois années de service (p. 50)- donnent cependant à cette institution une identité plutôt mouvante. L’originalité de la Chambre de l’Édit de Castres, véritablement mi-partie et bénéficiant d’une certaine autonomie vis-à-vis du Parlement de Toulouse, est à cet égard bien plus grande (voir le livre de Stéphane CAPOT, Justice et religion en Languedoc au temps de l’Édit de Nantes. La chambre de l’Édit de Castres (1579-1679), Paris, École des Chartes, « Mémoires et Documents de l’École des Chartes, 52 », 1998).
Scruter l’activité de la Chambre de l’Édit de Paris n’est pas chose aisée. Diane Margolf a procédé au dépouillement de minutes d’arrêt de la chambre pour les cas criminels de 1600 à 1665. Une étude exhaustive a été menée pour la première décennie du XVIIe siècle ; il a été procédé à des sondages pour les années suivantes : environ 3600 minutes ont ainsi été examinées dans les sous-séries X1a, X1b, X2a et X2b des Archives nationales (voir la trop courte présentation de l’auteur, p. X, pp. 61-63 et pp. 195-196). Les appels interjetés à Paris proviennent de l’ensemble du Royaume, le Poitou venant en tête devant l’Île-de-France et ses marges, la Bretagne, l’Anjou, la Touraine ou le Maine. Des évocations d’affaires initialement traitées par d’autres juridictions expliquent la présence d’appels venant de Normandie, du Languedoc ou encore du Dauphiné (tableau de la distribution géographique de 697 cas pour la période 1600-1610 et 331 cas pour les années 1610-1665, p. 62). Le profil social des appelants, catholiques ou protestants, demandeurs ou défendeurs, sans qu’il soit apparemment possible de faire les distinctions, est d’une grande diversité : nobles, artisans, pasteurs ou ecclésiastiques, étrangers. L’auteur n’a pas établi de tableau de répartition.
Le chapitre 3 est sans aucun doute le plus réussi de l’ouvrage. Reprenant les conclusions d’un article du Sixteenth Century Journal (« Adjudicating Memory : Law and Religious Difference in Early Seventeenth-Century France », Summer 1996, pp. 399-418), ce chapitre s’intéresse aux procédures traitant des questions relatives à des faits criminels ayant eu lieu pendant les Guerres de Religion. Plusieurs articles de l’Édit de Nantes ont établi une véritable politique de la « sage oubliance » : Henri IV a demandé de rejeter dans l’oubli les conflits du passé. Seule la poursuite des « cas exécrables » comme les viols est autorisée. Dans les 57 procès auxquels elle est confrontée entre 1600 et 1610, la Chambre de l’Édit adopte une politique équilibrée et efficace, privilégiant le rejet d’affaires déclarées « abolies, éteintes ou couvertes » (34 cas), sachant aussi parfois juger de cas considérés comme exceptionnels ou ne s’inscrivant pas directement dans les circonstances des guerres civiles (pp. 79-80). Diane Margolf présente plusieurs exemples singulièrement démonstratifs (p. 80 et suivantes).
Le chapitre 4 considère les affaires familiales jugées en appel à la Chambre de l’Édit du Parlement de Paris. Certaines ne sont pas véritablement des cas criminels même au sens que donne à ce terme l’ancien droit. La question de la différence religieuse ne semble qu’un facteur secondaire dans l’approche de ces procès relatifs à des mariages clandestins, à des séparations ou encore à la garde d’enfants. Le chapitre 5 traite des crimes « impliquant la violence » (p. 149). L’auteur fait ainsi l’étude de plusieurs centaines de procès intentés pour violences verbales, violences physiques, abus de pouvoir ou fautes des juges, vols et autres délits et enfin usages de faux (tableaux, pp. 153 et 155). Là encore, la dimension confessionnelle de ces affaires apparaît rarement (procès concernant des cimetières ou l’exercice public du culte, pp. 174-180). Comme le rappelle justement l’auteur, la Chambre de l’Édit du Parlement de Paris n’est « pas seulement une cour d’appel pour les protestants mais aussi un tribunal royal qui a pour tâche de maintenir l’ordre public (…) » (p. 152).
Ce livre stimulant constitue, après les recherches de Raymond A. Mentzer et Stéphane Capot sur la Chambre mi-partie de Castres, une étape importante dans l’étude de ces institutions particulièrement originales que sont les Chambres de l’Édit. L’auteur embrasse une large bibliographie. On peut simplement regretter que le travail d’Olivier Christin sur le sens de l’Édit de Nantes aux conclusions finalement assez proches des problématiques mises en œuvre par Diane Margolf, n’ait pas trouvé un écho dans ce livre. Même si l’ouvrage traite essentiellement de la première décennie du XVIIe siècle, les raisons de l’échec final de la Chambre de l’Édit, finalement supprimée par un édit de Louis XIV en 1669, sont abordées. Les protestants, minorité protégée mais toujours « suspecte », ont aidé à construire une identité nationale dont ils sont finalement et ironiquement exclus par la Révocation de 1685 (p. 98).
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