Une critique de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau

Le nouveau titre de la collection idées reçues du Cavalier Bleu vient confirmer tout l’intérêt de celle-ci : réussir en 120 pages à proposer une approche synthétique d’un phénomène aussi complexe que les croisades. En quelques pages, les différents chapitres de l’ouvrage s’attachent à étudier les nombreuses idées reçues sur la croisade

Pour cela, l’éditeur a fait appel à un spécialiste, Jean Flori, médiéviste de renom et auteur de nombreux ouvrages sur les croisades et leurs acteurs, de Pierre l’Ermite à Richard cœur de Lion.

La croisade en tant que choc de civilisation ?

La première partie de l’ouvrage aborde la question ô combien discutée de la croisade en tant que choc de civilisation. L’auteur replace les croisades dans leur contexte historique : l’arrivée des Turcs en Orient donne lieu à un conflit entre musulmans, mais aussi entre Turcs et Byzantins. C’est là que sont les causes de la croisade, et non un choc entre chrétiens et musulmans. Jean Flori remet également en cause l’équivalence entre Jihad et croisade. Pour cela il montre comment l’Église a pendant longtemps condamné toute forme de violence, la violence de la croisade est une nouveauté et non une constante du christianisme médiéval. Il montre également que ce n’est pas une guerre de religion, les croisés n’ont pas pour mission de convertir les musulmans, de même que les musulmans ne se fixaient pas pour objectif la conversion des chrétiens. Ce qui n’empêchait pas les uns et les autres d’utiliser la conversion comme outil de pacification forcée.
Enfin, la question de l’antisémitisme est abordée, on ne peut ignorer les pogroms dont ont été victimes les Juifs à l’occasion des croisades.

Les papes ont-ils utilisé la croisade comme un moyen de développer leur pouvoir et leur influence sur l’Europe ?

La volonté des papes de jouer un rôle politique se manifeste par la querelle des investitures, mais aussi à travers les croisades. Celles-ci leur apparaissent comme un outil pour faciliter le retour dans l’Église du monde byzantin. Elles sont également utilisées pour combattre en Occident ceux qui remettent en cause le dogme de l’Église (cathares…) ou pour combattre les païens d’Allemagne orientale. On est là bien loin de l’idée de délivrance de Jérusalem. Il apparaît que l’Église dans son ensemble a bénéficié des croisades, récupérant de nombreux domaines. Mais Jean Flori montre aussi qu’elle n’est par la seule, les villes marchandes (Venise, Gènes…) se sont considérablement enrichies aussi. Un aspect de l’ouvrage qui aurait mérité d’être davantage développé.

On ne pouvait bien sûr échapper à un chapitre sur les cathares et les templiers, tant ceux-ci excitent l’imaginaire collectif. Un bref rappel historique permet de mieux définir ces termes.

Pourquoi partir en croisade?

La partie sur les motivations des croisés peut surprendre le profane. Elle rappelle les motivations classiquement mises en avant de guerre sainte et de rémission des péchés. Ce qui permet aux chevaliers en guise de renommée de trouver là un moyen de continuer à se battre pour leur propre gloire comme pour celle de Dieu ! L’appât du gain est également très présent comme le montrent les nombreux pillages et la volonté des croisés d’établir des états latins d’orient à leur seul profit.
Mais elle ne doit pas cacher la dimension spirituelle de ce pèlerinage en armes. L’ampleur de celui-ci, la diversité des origines sociales et ethniques des croisés sont là pour rappeler combien la société médiévale est marquée par la religion. Une mobilisation favorisée par les discours de l’Église qui n’hésite pas à déformer la réalité pour choquer les esprits.

croisades et mysticisme

Les récits abondent de témoignages décrivant les nombreux signes qui ont précédé et accompagné les croisades : comètes, éclipses…. Ceux-ci sont d’ailleurs plus amplement décrits par les chroniqueurs allemands que français, comme si les premiers voulaient éviter d’attribuer un rôle trop important aux discours d’un pape alors en conflit avec l’empereur. Des signes qui se prêtent là à une interprétation très religieuse de la part de populations croyantes.

Surtout quand elles sont enflammées par de nombreux prêches. C’est en particulier le cas en terre d’Empire où les discours du pape n’ont pas été relayés. Pierre l’Ermite arrive à mobiliser l des foules immenses. C’est aussi le cas de la croisade des enfants. On trouve ainsi des exemples de mobilisation populaire, bien loin des souhaits de l’Église plus soucieuse de contrôler la croisade. Ils n’en témoignent pas moins du profond sentiment religieux des populations. Un sentiment que l’on retrouve également chez les souverains (Louis IX) soucieux de préparer la fin des temps et donc des malheurs du monde.

Au final, un ouvrage qui permet une première approche du phénomène des croisades ; il est destiné au grand public et remplit bien son rôle. On peut certes regretter de voir les croisades traitées principalement à travers les aspects guerriers et religieux, et peu sous la forme des contacts entre civilisations. De même que l’image qu’avaient Byzantins et Musulmans des Croisés n’est pas développée. Mais comment faire autrement en 120 pages destinées à éclaircir des idées reçues ?

La bibliographie sélective de fin d’ouvrage ouvre des pistes sérieuses pour celui qui veut approfondir le sujet.

François Trébosc ©