Premier bilan en langue française des manifestations de résistance, d’opposition et de dissidence en RDA, de 1949 à 1990, sous la direction de Hélène Camarade, professeure en études germaniques, Université Bordeaux Montaigne, membre de l’Institut Universitaire de France, spécialiste des phénomènes de résistance sous le IIIe Reich et en RDA, et des enjeux mémoriels, et de Sibylle Goepper, maitresse de conférence en études germanique, université Jean Moulin, Lyon III, spécialiste des liens entre intellectuels et pouvoirs , de la dissidence et de la subculture en RDA ainsi que de la littérature des nouveaux Länder.
Les manifestations en RDA à l’automne 1989 ne furent que l’aboutissement d’un long processus d’effritement du régime. La contre propagande, les critiques diffusées ouvertement ou par la presse clandestine, l’existence de subculture – non contrôlée par le régime, mais surveillée étroitement- ont permis de résister, pour arriver à la chute du mur.

Pour présenter leur projet, Hélène Camarade et Sibylle Goepper font un état de la recherche et proposent, dans cet ouvrage collectif, de dresser un panorama des formes et des manifestations de résistance, de dissidence et d’opposition en RDA, ces trois notions bien que très proches, sont importantes à différencier pour comprendre que la contre propagande était constituée de plusieurs « strates ». Avec une approche chronologique et thématique, tous les champs sont abordés : lutte intellectuelle, artistique, sociale, politique. La démarche est interdisciplinaire et croise des méthodes d’historien (en s’appuyant sur des archives et des interviews) et de politologues, français, allemands. Cela place l’étude dans une perspective franco-allemande. Bernd Linder, dresse un panorama chronologique de la RDA, de 1949 à 1990 et retrace les évolutions et les polymorphismes de la résistance, qui évoluent au fil des décennies.
Le premier chapitre, intitulé « résistance, contestation, contre propagande (1945-1961) » montre comment le système politique soviétique eut une influence sur les modes de résistance, mais aussi comment ce système politique était propre à la RDA, et n’avait pas de point commun avec d’autres territoires soumis à ce système, comme la Bulgarie. Les concepts de résistance et opposition sont précisés, expliqués pour en arriver à la conclusion « dans la mesure où l’opposition ne pouvait pas se développer ouvertement et légalement, elle se transforma en résistance ». Tout l’enjeu est là : la démocratie autorise l’opposition quand la dictature pousse à la résistance. Ainsi, il distingue l’opposition démocratique et la résistance démocratique dans la sphère publique. Quant à la contestation au sein du SED, traitée par Michel Christian,il est démontré que « la diversité des attitudes observables dans les rangs du SED (…) sont loin d’avoir agi comme un bloc ni pour le défendre, ni pour s’y opposer ». Thomas Ammer, cofondateur du cercle Eisenberg, explique, dans un entretien accordé à Hélène Camarade, ce qui l’a poussé « à passer à l’action ». Conscients qu’il était possible que beaucoup de gens pensent comme eux, suite aux manifestations du 17 juin 1953, et inspirés par Hans et Sophie Scholl -entre autres- ce groupe avait pour but de mener des actions pour remettre en cause le régime, voire le faire tomber. Les chapitres 2  » Dissidence et socialisme réformiste, 1956-1990″ et 3 « Opposition politique dans les années 1970-1980 » présentent l’évolution « de la critique interne à la dissidence » ou comment des actions individuelles devinrent des actions dans les grands médias, comment depuis l’Ouest, l’information concernant la RDA était transmise et quel rôle jouèrent les samizdat à Berlin Est, dans les années 1980, le tout en s’appuyant sur des témoignages de dissidents de l’époque. Le quatrième chapitre présente « la culture comme espace dissensuel », à partir du cas de la revue « Theater der Zeit », des « KulturHäuser » des années 1980 et du patrimoine culturel chrétien. Les auteurs démontrent que de nombreux lieux et pratiques permettaient de contrer la politique imposée par la RDA, et avec quelles méthodes cela était possible. Dans un deuxième temps,en étudiant la place des artistes et de la création dans les années 1980, ils montrent qu’il y avait tout de même une porosité entre la culture officielle et « underground ». S’appuyant sur l’exemple de la galerie Eigen + Art, Jacques Poumet décrit comment certains osaient se passer d’autorisations officielles afin d’exposer leur contre culture. Puis la figure d’Hérakles, figure majeure dans l’oeuvre de Lutz Dammbeck ainsi que la mise en scène du temps qui passe, dans le film « Alleinseglerin »de Hermann Zschohe, en 1987 dans lequel il anticipe la fin du régime de la RDA, montrent que l’art est désormais un moyen de communiquer contre le régime, de façon métaphorique et affirmée.
Ilko-Sascha Kowalczuk raconte comment le monde fut médusé de voir le mur de Berlin tomber, puis remonte dans le temps (1980, création de Solidarnosc, en Pologne), et explique les conditions de vie des habitants, montre comment des évènements pris isolément ont peu de sens, mais pris ensemble, révèlent que la population aspirait à plus de démocratie. Le chapitre 6 explique l’utilisation de l’ approche comparatistes sur des concepts, dont la résistance française : cette expérience est-elle transposable en RDA ? puis les notions de Résistance, d’oppositions et le Resistenz sont ils semblables sous le IIIe Reich et la RDA ?
Enfin, source essentielle pour l’étude de ce sujet, les Archives de la STASI dont la conservation, la gestion, la communication furent organisées en 1991, avec la création de la BtSU qui permet aujourd’hui d’étudier l’histoire de l’opposition, de la vie quotidienne. Terrain qui reste à exploiter.