Adaptation graphique du roman de l’autrice japonaise Sawako Ariyoshi, initialement paru en France en 1983, la bande dessinée Les dames de Kimoto plonge le lecteur dans l’histoire familiale de trois japonaises à l’orée du XXe siècle. Toutes membres de la même lignée, grand-mère, mère et petite-fille, ces trois femmes offrent un portrait détaillé de l’évolution de la condition féminine dans un Japon tout juste projeté dans la modernité après l’ambassade du commodore Perry en 1853.
Nous suivons dans les premières planches le parcours de la jeune Hana Kimoto, à la veille d’être en âge pour se marier. Couverte et protégée par sa grand-mère Toyono, qui avait insisté pour qu’elle puisse recevoir une bonne éducation afin d’allier en elle la beauté l’intelligence, Hana voit se multiplier les offres et les prétendants. Elle portera son choix sur le jeune Keisaku Matani, revenu de ses études à la capitale et maire du village de Musota.
Hana su dès le premier soir de son mariage qu’elle pouvait avoir confiance en son mari qui faisait preuve de respect pour sa nouvelle épouse. Homme éduqué, descendant de samouraïs et héritier d’une grande fortune, Keisaku prend soin de sa communauté mais entretient des liens complexes avec son cadet Kosaku, de faible constitution est peinant à trouver une épouse malgré les efforts d’Hana. Rapidement le couple donne naissance à leur premier enfant : le jeune Seiichiro.
Au fil du temps qui passe les relations se tendent au sein de la famille, alors que la guerre russe japonaise approche. Kosaku hérite des montagnes de la famille et part s’installer seul en ces terres reculées, lui qui était tombé amoureux d’Hana. Cette dernière donne naissance à sa fille Fumio, le jour même du décès de sa grand-mère. La considération pour la petite Fumio fut moins importante de la part de son père, pour qui tous les égards allaient au frère aîné. Mais l’oncle ne manque pas d’amour pour cette dernière. Les années passent, Kosaku prend une jeune servante qui tombe enceinte. Sur conseil d’Hana le mariage est proposé pour éviter le déshonneur à la toute jeune servante Umé. Les relations demeurent complexes néanmoins.
La petite Fumio atteint les 18 ans. Émancipée et désireuse de liberté, elle condamne la passivité de sa mère attachée à la place traditionnelle des femmes : la soumission et le silence. Au contraire Fumio ressent une proximité avec son oncle qui se reconnait également dans les volontés d’émancipation et le côté rebelle de sa nièce. La fille d’Hana par, après une forte insistance, poursuivre ses études à Tokyo auprès de son frère qui recueille toujours tous les espoirs de son père, sans en avoir le talent. La distance se creuse entre la mère et la fille inexorablement.
Malgré les efforts d’Hana pour venir en aide et appuyer sa fille. Fumio termine ses études, se marie et part à Shanghai avec son époux. Mais le drame frappe la famille : le premier fils de Fumio décède encore nourrisson. Cette dernière rentre au Japon, la douleur la rapproche quelque peu de sa mère Hana qui sera là la naissance de son dernier enfant : Hanako.
Hana se reconnaît dans sa petite fille qui est précoce et proche d’elle. La guerre reparaît à l’horizon, alors que la famille Matani est de nouveau dévastée par un décès précoce : celui de l’époux d’Hana, Keisaku, qui était devenu député opposé à la fascisation de son pays. Hana, qui avait gagné la capitale pour la carrière de ce dernier, et dans le secret espoir de se rapprocher de sa fille à l’époque de ses études, regagne la campagne et la maison familiale. Peu à peu la guerre plonge le pays dans la pauvreté, Fumio et Hanako se réfugient auprès d’Hana, en trouvant réconfort et sérénité en ces territoires figées comme hors du temps.
La guerre terminée, la vie reprend. Hanako poursuit ses études, Fumio reprend son travail et doit souffrir dans la reconstruction du pays de la perte de son époux très jeune. Et Hana se renferme dans la préservation de la tradition. Acceptant dans le silence la douleur de la solitude.
Une attaque et une chute : Hana quitte ce monde mais en ayant pu revoir sa petite-fille une dernière fois et lui dire combien elle regrette de ne pas avoir eu de liens plus forts avec elle et surtout avec sa fille Fumio.
Fresque poétique sur le devenir d’une nation à travers le regard de trois femmes, Les dames de Kimoto constitue une très agréable découverte. Sous le trait de Cyril Bonin prend forme l’image d’un Japon qui semble peu à peu se disperser et se figer dans notre imaginaire : n’est-ce pas la définition que donne T.S Éliot de la traditionCyril Bonin, Les dames de Kimoto, Sarbacane, planche 99 ?