Tout commence en 3019 dans l’espace. De gigantesques structures toroïdales ont été déployées autour de la Terre car les ressources ne suffisaient plus. En quelques pages, les auteurs proposent une vision de l’avenir avant de revenir sur Terre aujourd’hui. La bande dessinée est accompagnée d’un glossaire relié à chaque chapitre, d’une double page sur les ressources, d’une autre sur les déchets ainsi que d’une troisième sur le vivant. Une bibliographie permet aussi de prolonger la lecture.
D’abord une rencontre
Philippe Bihouix, ingénieur, et Vincent Perriot, dessinateur, se mettent en scène dans cette bande dessinée en sept chapitres qui pose la question cruciale des ressources. Cet ouvrage est donc d’abord le fruit d’une rencontre. Les travaux de Philippe Birhouix nourrissaient depuis des années l’inspiration de Vincent Perriot. Grâce à leur vaisseau, tous deux vont pouvoir naviguer dans les époques pour éclairer le lecteur sur les enjeux des ressources.
Les Cornucopiens
Un Cornucopien, c’est quelqu’un qui a la conviction que nous allons, grâce au progrès technique, vers un monde d’abondance. Les protagonistes se téléportent d’abord au Moyen Age. Contrairement à une idée reçue, ce fut une époque où des progrès techniques eurent lieu. Vers le XIIIe siècle, il y avait donc une ambiance plutôt progressiste, tant du point de vue technique que des idées. L’album se poursuit en évoquant notamment Malthus ou les transformations des révolutions industrielles. Avec les guerres mondiales, la question du progrès et de la science se posent. Dès les années 30, et encore plus à partir des années 1950, la question qui domine est celle de la population, ou plutôt de la surpopulation. Un autre courant se développe, alimentant lui l’espoir d’un monde toujours plus abondant.
L’exponentielle
Deux visions s’opposent donc : d’un côté ceux qui pensent que la croissance se heurte aux limites matérielles et, de l’autre, ceux qui pensent la croissance comme illimitée. Quelques pages assez techniques détaillent les conséquences d’une telle vision. Les auteurs critiquent la vision d’Elon Musk. Pendant qu’il vend du rêve à long terme, il n’en oublie pas à court terme de développer des activités très rentables pour lui qui exploitent les ressources.
Les ressources
Chaque année, 25 milliards de tonnes de terre fertile finissent dans la mer entrainées par l’eau et le vent à cause de nos pratiques agricoles intensives. Les auteurs évoquent ensuite la question des métaux. Les durées possibles d’exploitation sont très variables. Comme les ressources sont généralement dispersées, on exploite seulement là où elles sont concentrées. De nouvelles technologies peuvent aussi permettre d’exploiter ce qu’on ne savait pas faire avant. Il faut aussi mesurer qu’on peut se permettre d’extraire de l’or qui est 100 000 fois moins concentré que le fer parce qu’on le considère comme plus précieux, et qu’on le paie donc plus cher. La bande dessinée montre aussi tout ce qui se cache derrière le numérique aujourd’hui. Elle définit aussi de façon très claire l’effet rebond.
De Gaia à Thanatia
Ce chapitre aborde notamment la question des ressources encore non exploitées, que ce soit aux pôles ou dans les mers et océans. L’album montre quelques évolutions possibles, assez effrayantes. Certains métaux actuellement utilisés sont difficilement substituables. Le chercheur André Diederen pense qu’on pourrait orienter l’innovation vers l’utilisation des « éléments de l’espoir » qui sont les métaux les plus abondants comme le fer.
Le recyclage
L’économie circulaire peut elle être la solution ? Il faut tenir compte du fait qu’on ne peut pas recycler à l’infini. Autre problème : on n’utilise pas les métaux sous leur forme pure mais on les mélange dans des milliers d’alliages de compositions différentes. On comprend mieux cela à travers l’exemple d’une voiture et surtout le téléphone portable. Dans un smartphone, on trouve une soixantaine d’éléments chimiques dont 45 métaux. Plusieurs exemples très concrets sont fournis. Recycler ce genre d’appareil coûte encore cher pour récupérer finalement peu par appareil.
Une civilisation techniquement soutenable
Jacques Ellul posait clairement le débat : « la technique n’est ni bonne, ni mauvaise, ni neutre ; elle est ambivalente. On ne peut dissocier ses effets positifs des effets négatifs, ses effets prévus de ses effets imprévus ». La technologie transforme la société comme le montrent quelques exemples éclairants avec le smartphone et ses usages. Trois pistes sont à suivre : la sobriété, optimiser la conception et faire durer, et faire preuve de « techno-discernement ». Souvent, la complexité technologique crée l’obsolescence sans rien apporter de primordial.
Le vaisseau fou
Plusieurs pistes sont évoquées comme le fait de passer à une économie de la « maintenance » qui serait elle aussi créatrice d’emplois. Les questions du partage du travail, des modèles agricoles sont aussi posés. Dans de nombreuses civilisations, le système de valeurs incite à la modération. Daniel Pauly a formulé le concept de « syndrome du décalage des points de référence ». On s’habitue à la disparition rampante des espèces par exemple et on évalue de façon inappropriée les pertes en ressources en prenant comme repère le début de sa carrière. Le stock de poissons disponible au début d’une carrière sert donc de point de référence alors qu’il est moins important que quelques années auparavant.
Cette bande dessinée nécessite donc une lecture attentive, mais elle fait clairement le pari de l’intelligence du lecteur. Multipliant les éclairages, elle donne des clés de lecture et de compréhension sur la question cruciale des ressources.