C’est un ouvrage important de Jacques Solé que la collection Folio histoire (Éditions gallimard) a publié à la fin de l’année 2008. En effet, ce livre de 700 pages est une excellente mise au point sur le «temps des révolutions», dans une période centrale de la formation de l’Europe contemporaine.
On ne peut qu’être séduit par cette approche originale qui présente successivement, les Révolutions sans révolutionnaires et les révolutionnaires sans révolutions, avant d’aborder les victoires révolutionnaires. On en se limitera pas à une simple présentation de la révolution russe, présentée en fait comme le coup d’État bolchévik d’Octobre 1917, mais bien à un inventaire des «vraies» révolutions, celles qui sont paradoxalement les moins connues, comme les révolutions libérales de 1820 au Portugal, la révolution belge de 1830 et la naissance violente d’une suisse radicale et fédérale entre 1830 et 1848.
Révolution par le haut
On le voit ici, c’est bien à une réflexion sur le concept de révolution que nous invite Jacques Solé. Changement politique, violent, fondateur et mémorable: telle est la définition de cette révolution. Qu’elle échoue où qu’elle réussisse est une autre affaire ? sans doute pas, mais c’est sur son caractère fondateur qu’il convient de s’interroger. L’évènement est il le point de départ d’une période nouvelle ? Qui en sont les acteurs ? Qui en sont les révolutionnaires, car, on le voit pour les journées parisiennes, celles de juillet 1789, juillet 1830, février 1848 ou septembre 1870, il y eut bien révolution, mais sans révolutionnaires. Passionnante réflexion qui nous plonge au cœur de l’histoire de l’Europe, car, à l’ombre de la Révolution française, ce sont des bouleversements rapides, violents qui sont en mis œuvre. la Constitution polonaise de 1791 est bien d’essence révolutionnaire mais se heurte aux intérêts conjugués des puissances. Et celles-ci se désignent elles mêmes: contre-révolutionnaires.
Car la révolution n’est pas simplement affaire de peuples et Jacques Solé décape la tendance bien française longtemps influencée par la gauche communiste voyant dans les changements politiques une sorte de mécanique associant lutte des classes et au bout du compte fin de l’histoire.
Il est des révolutions de palais qui sont des moments fondateurs, telle la révolution par le haut en Angleterre qui aboutit en 1832 à une remise en cause de l’ancien régime et à une réforme des institutions parlementaires.
La politique d’abord
De la même façon, la révolution russe, de 1905, participe d’une modernisation mais inachevée et remise en cause ensuite. Sans doute parce que ces mouvements, issus d’une radicalisation politique, de difficultés économiques, de situations extérieures tendues, ces révolutions sans révolutionnaires n’ont-elles pas été perçues comme fondatrices par les contemporains. Elles éclairent pourtant d’un jour nouveau la réflexion politique. Peut-être que l’on devrait, mais nous savons qu’un historien comme Jean Sagnes y a travaillé, s’interroger sur la signification révolutionnaire du Coup d’État du 2 décembre 1851.
Mais il est aussi des révolutionnaires sans révolutions, comme les décembristes russes de 1825 ou les insurgés polonais qui essaient se secouer le joug russe entre 1826 et 1848.
Les décembristes russes par exemple essaient de profiter de la mort soudaine d’Alexandre Ier en 1825 pour imposer une constitution. Ils présentent Constantin, le fils ainé comme favorable à une constitution, par opposition à Nicolas, le cadet, choisi par son père pour lui succéder. L’échec des décembristes, un mouvement de nobles éclairés, ouverts sur l’Europe des lumières ne doit pas faire oublier les sérieux de leur mouvement.
Cette révolution qui échoue amène pourtant le Tsar Nicolas Ier à envisager des réformes. celles-ci se heurtent à un corps social qui est indifférent à ces possibilités de transformations. dans le même temps, une intellingentsia se constitue et on sait la part qu’elle prend en 1905 comme en février 1917 dans la conduite des évènements.
Passionnante chronique de ces révolutions de tous types, de ces tentatives avortées ou réussies d’insurrection et de conspirations, d’espoirs de réformes et de fuites en avant désespérées qui conduisent au nihilisme. Mais surtout passionnante histoire qui réhabilite l’action politique et le débat d’idées.
Le cadre européen, institutionnel et technocratique aujourd’hui est celui de cette histoire, celle des acteurs, celles des hommes en fait qui estiment pouvoir en infléchir le destin. Jacques Solé qui dédie son ouvrage à Pierre Broué en souvenir de mai 1968 nous invite à cette réflexion sur cette idée toujours neuve, la révolution…
Bruno Modica © Clionautes
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