Publié en août 2017, cet ouvrage réunit les contributions de 12 chercheurs, spécialistes du monde arabe. Différents aspects de cette situation qui a été ouverte, avec comme point de départ, la Tunisie, en 2011, sont ainsi abordés.
Un examen rapide de la table des matières montre que sur les 10 contributions proposées, quatre sont consacrés aux médias, sous l’angle du droit des femmes en Égypte et de son traitement par la presse, mais également le cyber activisme, vu toutefois du point de vue des perspectives américaines. On trouvera également un article sur le rôle des médias dans les révolutions arabes avec le cas de la chaîne Al Jazeera.
L’introduction de l’ouvrage, rédigée par Mohammed El Oifi, professeur à Paris III et à l’IEP de Paris, donne une idée assez précise de l’approche des 12 chercheurs qui se sont réunis.
Les révolutions arabes ont été une surprise, y compris pour les spécialistes qui ne les avaient pas anticipées. On peut interpréter cela comme le syndrome algérien, avec la crainte qu’une déstabilisation interne d’un grand pays du Maghreb, proche de l’Europe évidemment, ait des répercussions, y compris avec une forme terroriste. On se souvient notamment du groupe islamique armé, et des attentats commis en France.
L’idée d’une révolution populaire, venue de la base, a pu forcément surprendre. Et en Tunisie comme en Égypte, les premières élections ont suscité une participation massive. On aurait pu imaginer une transition pacifique, la mise en place d’un jeu démocratique, si l’on avait pris en compte la place des islamistes que l’on avait voulu évacuer trop rapidement au début du processus.
D’après l’auteur de l’introduction ce qui est actuellement en jeu dans les différents pays arabes qu’ils soient stabilisés ou toujours en crise comme en Libye ou en Syrie, c’est bien la question de la territorialité et des dysfonctionnements de l’État-nation. Entre 2014 et 2017, l’organisation État islamique a réactivé un concept que l’on pouvait croire dépassé depuis 1924, à savoir le califat. Le maintien dans les états arabes de liens tribaux, confessionnels comme en Égypte, avec la minorité copte, de clans familiaux solidement installés au pouvoir, appartenant à une minorité très spécifique comme les Alaouites de Syrie, tout cela est un facteur puissant de déstabilisation dans le processus de construction de l’État-nation.
Le troisième élément qui a été un facteur puissant de déstabilisation de régimes que l’on croyait solidement installés, comme celui de Ben Ali en Tunisie, ou celui de Bachar al-Assad en Syrie, ou encore l’Égypte de Hosni Moubarak, a été celui de la crise de la gouvernance. Que les états soient rentiers, et pas seulement du pétrole d’ailleurs comme l’Égypte avec l’aide américaine, le Canal de Suez et le tourisme, et c’est toute une gouvernance basée sur des mécanismes de corruption qui s’est progressivement mise en place.
La jeunesse diplômée, écartée de l’accès à ces rentes de situation, s’est donc engagée dans la contestation.
Les situations sont toutes différentes d’un pays à l’autre. Si la Tunisie après une tentation islamiste a pu renouer avec une transition démocratique, il n’en a pas été de même en Égypte, avec le coup d’État du 3 juillet 2013 qui remet au pouvoir l’armée. Car il ne faut pas oublier que depuis la chute du roi Farouk dans les années 50, ce sont toujours des officiers qui ont présidé au destin du pays. L’armée se présente comme la garante du retour à l’ordre et de la sécurité, même si les difficultés de l’armée égyptienne dans le Sinaï peuvent avoir un effet déstabilisant très rapidement.
Peu déstabilisée par les révolutions arabes, du moins en apparence, l’Arabie Saoudite s’est engagée dans une politique de soutien, y compris financier à des pays comme l’Égypte, le permettant de s’équiper en matériel militaire français d’ailleurs, mais surtout permettant de maintenir la politique d’assistance dont bénéficie une part importante de la population. Les recettes du tourisme se sont effondrées, et il ne semble pas envisageable, du moins moyen terme, que celles-ci ne reviennent irriguer l’économie égyptienne.
Le facteur sans doute déterminant est celui du confessionnalisme de ces mouvements politiques, et dans des cas comme pour la Syrie, ou encore l’Irak, sans parler du Yémen, on retrouve réactivée cette opposition entre les deux branches de l’islam, et les deux chefs de file que constitue pour chacune d’entre elles, l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Parmi les articles que l’on trouve dans ce recueil, on s’intéressera particulièrement à l’itinéraire biographique du syrien Burhan Galioun, né en 1945, instituteur à ses débuts, avant de faire ses études en France à partir de 1969. De retour en Syrie en 1974, il est perçu par les autorités comme un opposant à la révolution bassiste, ce qui le conduit à enseigner en Algérie, avant d’intégrer l’université de la Sorbonne nouvelle à partir de 1990.
Dans l’interview réalisée, le professeur revient sur la constitution de l’opposition syrienne, organisée dès les premiers soubresauts de la révolution en Égypte et en Tunisie. Il revient sur l’organisation du conseil national syrien qui a pu représenter pendant un temps l’opposition démocratique au régime de Bachar al-Assad. Face à une contestation qui était au départ pacifique et démocratique, le gouvernement syrien a très vite choisi la répression brutale, avec comme objectif de pousser l’opposition à la lutte armée, de façon à transformer une transition politique en un conflit régional.
Cette interview fait écho à l’article de Thomas Pierret, maître de conférences à l’université d’Édimbourg qui présente les étapes d’une guerre révolutionnaire en Syrie. L’article met en évidence les points d’inflexion qui sépare les différentes phases de la crise syrienne à partir de juin 2011 jusqu’en janvier 2012, lorsque l’opposition armée commence à s’organiser jusqu’au début de la guerre de siège à partir de décembre 2012.
Dans cet article on notera avec beaucoup d’intérêt la méthode utilisée dans un premier temps par le régime syrien, qui visait à frapper fort, mais sans destruction d’infrastructures, pour mettre la population en état de sidération. Cette méthode qui avait pu réussir au temps de Hafez Al Assad lors de la répression de 1982, a finalement échoué lorsque l’opposition armée a reçu des moyens militaires significatifs financés par l’Arabie Saoudite. La situation a évidemment basculé lorsque, à partir de 2014, l’État islamique dont le régime de Bachar al-Assad a libéré certains cadres, au début de l’insurrection, est entré dans le jeu. L’intervention de puissances extérieures, la Russie comme les États-Unis, et au-delà la coalition occidentale, l’Iran et les milices chiites irakiennes, le Hezbollah, transforment la révolution syrienne en un conflit régional. On pourra noter au passage que cette situation permet à Israël, avec le soutien de l’administration de Donald Trump de poursuivre sa politique d’asphyxie des territoires palestiniens, tout en maintenant son occupation du plateau du Golan, d’autant plus intéressant aujourd’hui que l’on a trouvé des gisements pétroliers significatifs.
Directeur de recherche au CNRS, François Burgat explique la crise syrienne au prisme de la variable religieuse. Tout au long de la période de l’hégémonie du parti Baas, les clivages ethniques et confessionnels sont apparus moins visibles que dans le Liban et l’Irak voisin. Le parti Baas a voulu mettre sous le boisseau les clivages, avec des professions de foi laïque, en insistant assez peu sur la domination que la minorité Alaouites exerçait et exerce toujours sur le pouvoir central.
Dès les débuts de l’insurrection le pouvoir central a très vite choisi l’instrumentalisation religieuse, en insistant sur le caractère sunnite fondamentaliste de l’opposition. Cela a pu jouer un rôle important chez les chrétiens syriens, dans les églises orientales, et le repoussoir de l’islam radical a très vite été utilisé par les alliés russes.
On insistera particulièrement sur cette partie de l’article consacré aux « géniteurs du djihadisme en Syrie » qui ne sont autres que les membres du régime qui ont donné une visibilité aussi forte que possible aux composantes de l’opposition qui étaient les plus susceptibles de la discréditer. Dans un premier temps, au moins jusqu’en 2014, le régime syrien a limité la confrontation avec les forces de Daesh, en tout cas jusqu’à l’entrée en jeu des russes et des Iraniens. Ces derniers toutefois cherchent à réduire toute opposition, permettant de laisser le régime de Bachar al-Assad en place. Force est de constater, surtout au vu des événements de l’année 2017, qui a vu le recul, la quasi-disparition des positions de l’État islamique en Irak et en Syrie, que cet objectif n’est pas loin d’être atteint.
Dans le cadre de cette recension qui ne saurait être exhaustive, pour mettre l’accent sur le rôle des médias dans les révolutions arabes avec cette chaîne satellitaire très largement suivie aussi bien dans le monde arabe que dans tous les pays où vivent d’importantes minorités arabophones.
Comme pour diverses révolutions, comme celles dites « de couleur » dans l’étranger proche de la Russie, l’origine médiatique a souvent été évoquée. Al Jazeera est donc souvent présentée comme le relais des Frères musulmans, ce qui a pu apparaître assez clairement lorsque la chaîne a considéré que le coup d’État militaire de 2013 qui met fin à la présidence de Morsi était un complot « americano sioniste ». Cela explique probablement l’opposition entre les deux chaînes arabes, Al Jazeera, et Al Arabya, d’inspiration saoudienne.
Introduction par Mohammed EL Oifi
Portrait de Burhan Ghalioun par Zaïneb BEN LAGHA et Mohammed EL Oifi
Interview de Burhan Ghalioun. Itinéraire politique d’un savant
1. Syrie, étapes d’une guerre révolutionnaire par Thomas PIERRET
2. La crise syrienne au prisme de la variable religieuse par François BURGAT
3. Nature et enjeux de la transition démocratique en Libye par Moncef DJAZIRI
4. Les contestations révolutionnaires arabes et les blues d’Ankara par Hamit BOZARSLAN
5. Le Makhzen marocain face à la « révolution arabe » par Pierre VERMEREN
6. Le débat de la presse sur les droits des femmes en Égypte. Entre conformisme et contestations par Nisrin ABU AMARA
7. Les médias audiovisuels « post-révolutionnaires » dans les pays arabo-musulmans sur les sentiers de la dépendance par Tourya GUAAYBESS
8. Le rôle des médias dans les révolutions arabes : le cas d’al-Jazeera par Mohammed EL OIFI
9. Cyberactivisme et révolutions arabes : perspectives américaines par Olivier Koch
10. La genèse de la politique américaine face aux révoltes arabes par Alexandra de HOOP SCHEFFER