Ce numéro 2012 de la revue Dix-huitième Siècle fait une large place à l’Afrique (323 pages) avant divers thèmes regroupés au sein des Varia. Ce dossier Afrique est coordonné par David Diop, Patrick Graille et Izabella Zatorska pose la question : Que pouvons nous connaître de l’histoire, des savoirs et des représentations de l’Afrique sub-saharienne à la lecture des auteurs européens des Lumières à une époque où seules les côtes sont connues depuis les premiers contacts au XVème siècle. Les diverses contributions cherchent à éclairer les rapports entre les représentations du continent et l’évolution des idées: Quelle place ces représentations tiennent -elles dans l’émergence du discours abolitionniste? Quelle peut être l’influence des récits des voyageurs? Quelles lectures par les abolitionnistes et par les planteurs? Dans quelle mesure ces écrits préfigurent l’expansionnisme colonial?

Les contributions d’auteurs africains, anglo-saxons comme africains, souvent très pointues sont réunies en trois grandes parties: Histoires: les échanges économiques entre Européens et Africains, Représentations : analyse des sources d’information sur l’Afrique et Fictions: imaginaire de l’Afrique et des Africains dans la littérature.

Histoires

Amzat Boukari-Yaraba montre à partir de quelques exemples: Pays Yoruba, Delta du Niger et Fouta Djalon, comment les jeunes États ouest-africains entre divisions internes et commerce des esclaves n’ont pas su s’opposer à la pression européenne pour la traite négrière.

Ibrahima Seck, dans un contexte de concurrence entre traiteurs français, hollandais et anglais sur la côte de Sénégambie, analyse la création de Saint Louis et les relations avec les peuples de la vallée du fleuve Sénégal et le rôle de Gorée. Il montre es conséquences sur le commerce des esclaves de la crise frumentaire des années 1720.

Le personnage de Joâo Teixeira de Carvalho a retenu l’attention de Selma Pantoja qui en retrace la carrière de prêtre en Angola puis au Brésil, Elle met en évidence les rivalités entre épiscopat et gouverneurs en Angola sur fond de rivalités commerciales.

Brice Martinetti rappelle la place de second port négrier de La Rochelle, il exploite les riches archives de la Chambre de Commerce qui nous informent sur les rapports entre les capitaines rochelais et les acteurs locaux de la Côte des Esclaves et en particulier sur le jeu politique et économique du Royaume d’Ardres dans sa lutte contre de Dahomey dans les années 1780.

Nous restons au Dahomey avec l’article de Bernard Gainot. Dans les archives de la société des Amis des Noirs et des colonies, le mémoire de Denyau de la Garenne e, 1799 présente la théorie d’une « nouvelle colonisation » fondée sur le libre travail, prémisse de la colonisation du XIXème siècle.

Pernille Roge défend l’idée que les origines de l’idée de la « mission civilisatrice  » en Afrique, souvent associée à Jules Ferry est né des discours des abolitionnistes et des physiocrates, présentés comme premiers économistes politiques.

Représentations

La publication en 1775 des « Anecdotes africaines » semble, pour John R. Iverson, une photographie de l’image de l’Afrique. Les peuples africains seraient, à l’époque, considérés comme n’ayant pas la notion du temps, une Afrique sans passé ni avenir, des barbares dont l’histoire se résume à leurs rencontres avec les Européens.

Barbares, Barbarie voilà des mots très présents dans les récits de voyage étudiés par Jean Claude Halpern. On perçoit une évolution du regard porté sur les peuples africains de sauvages à barbares ce qui induit une organisation sociale tout en marque l’ignorance des codes et des valeurs de la société européenne et en particulier l’ignorance du « vrai Dieu ».

Sylvaine Albertan Coppola analyse les sources utilisées par l’Abbé Prévost dans son « Histoire générale des voyages » loin d’une étude du genre que laissait espérer le sous-titre de l’article : la représentation des Africaines.

Andrew Curran s’intéresse à Buffon et au discours scientifique du XVIIIe sur la réalité de la peau noir et sur la place des « nègres » dans l’évolution de l’homme à partir d’un ancêtre commun?

Hélène Cussac montre la prégnance des représentations véhiculées par les récits de voyage même chez ceux qui, comme Berrnardin de Saint-Pierre, ont fait l’expérience de la rencontre avec les noirs, pour lui à l’Ile de France.

Gérard Lahouati analyse à la fois le « Voyage de M. Le Vaillant », ouvrage dont l’originalité réside dans la volonté de l’auteur de réfuter les récits antérieurs sur les Hottentots et d’en proposer une vision rationaliste et la lecture qu’en fit le moraliste Chamfort d’après son compte-rendu dans le Mercure de France en mars 1790.

Fictions

Dans la littérature romanesque des années 1730 Jean Michel Racault présente deux romans truffés d’érudition. Le Sethos de l’abbé Terrasson, roman archéologique qui tantôt puise dans les auteurs grecques pour sa description de l’Egypte, tantôt offre une réflexion sur la politique coloniale pour construire une anthropologie des races humaines quand son héros parcourt le continent. Les Mémoires de Gaudence de Lucques de Simon Bernington entraîne son héros dans une Afrique minutieusement décrite tout en étant le fruit de l’imagination de l’auteur.

Njinga, reine d’Angola est connue par les oeuvres des missionnaires et en particulier Antonio Cavazzi dont Catherine Gallouët analyse ici les différentes versions et les compare aux autres écrits sur cette raine et ses rapports au monde portugais.

Erzi Kukorelli s’intéresse à l’oeuvre de Daniel Defoe et plus spécialement aux représentations d’Afrique de son héros le Capitaine Simpleton, de sa traversée imaginaire de l’Afrique alors totalement inconnue qui s’inscrit dans les espoirs d’un développement commercial défendu par Defoe.

Sade, dans Aline et Valcour, donne à voir une Afrique fantasmée analysée ici par Adrien Paschoud.

Loïc Thommeret propose la découverte d’un roman paru en 1792; Aza ou le nègre qui est un manifeste pour l’émancipation des noirs au moment même des soulèvements des esclaves dans les Antilles.

Notons que la revue Dix-Huitième Siècle étant de parution annuelle elle contient des Varia qui proposent un dossier sur Fontenelle, trois articles en histoire de l’art, six en littérature, et trois en histoires: les épigraphes latines des premiers historiens de la Révolution française, Résistances écossaises à l’union de 1707, le séjour du physiocrate Lemercier de La Rivière en Russie, suivies de très nombreuses recensions.