Un siècle après les travaux du folkloriste Van Gennep, en ce début du XXIème siècle, il peut sembler étonnant de s’interroger sur le maintien de rites à une époque où tout cadre semble avoir disparu. C’est tout le mérite de Martine Roberge, professeure d’ethnologie au département des sciences historiques de l’université de Laval, de se pencher avec deux de ses étudiantes sur cette question très actuelle.

Car aujourd’hui comme hier, « pour les groupes comme pour les individus, vivre c’est sans cesse se désagréger et se reconstituer, changer d’état et de forme, mourir et renaître. (…) Et toujours ce sont de nouveaux seuils à franchir, seuils de l’été ou de l’hiver, de la saison ou de l’année, du mois ou de la nuit ; seuil de la naissance, de l’adolescence ou de l’âge mur ; seuil de la vieillesse ; seuil de la mort ; et seuil de l’autre vie – pour ceux qui y croient. » (Van Gennep, 1909, p. 272). Le maintien de rites dans la société contemporaine s’explique par le fait qu’ils répondent toujours à un besoin et une fonction sociale. Ils se sont tout simplement transformés avec la société et les individus qui ont de plus en plus besoin, non pas de marquer une transition d’un état à un autre mais, d’organiser un événement. Ces temps forts sont de plus en plus personnalisés et exigent un fort investissement de ceux qui les organisent.

C’est ainsi que sont passés en revue des rites liés à la naissance, à l’entrée dans la conjugalité et les rites de mort. Il est question ici de la société canadienne et quelques différences amuseront le lecteur français. Ainsi, si les baptêmes et les fêtes de bienvenue d’un enfant sont connues dans l’hexagone, ce n’est pas le cas des showers de bébé (fête prénatale visant à afficher le statut des futurs parents lors d’un goûter et occasion d’un don de cadeaux) ou des séances d’échographie rassemblant la famille élargie, même si quelques initiatives outre-atlantiques viennent jusqu’à nous comme les séances de photographie prises pendant la grossesse. De même, si le rituel des enterrements de vie de jeunes filles marque désormais l’espace public des villes de province en fin de semaine, il est décrypté ici comme une manière d’affirmer l’égalité entre les femmes et les hommes, alors qu’il était réservé jusque là aux garçons. De même, quelques particularités canadiennes étonneront les lecteurs à propos de l’organisation : possibilité de se marier déguisé (tenues médiévales mais aussi de science-fiction type star-trek), comme de choisir d’échanger ses consentements la nuit dans la forêt. Toutefois, ce que montre Martine Roberge, « tout porte à croire que le souci de personnalisation ne se traduit point par une grande diversification des cérémonies. Au final, celles-ci sont en réalité sensiblement les mêmes d’un mariage à un autre. » (p. 122). Les pendaisons de crémaillère au Canada sont davantage l’occasion d’une déclaration publique d’engagement entre cohabitants que quelque chose lié à l’installation dans un nouvel appartement. Elle tient une place particulière chez les couples homosexuels qui affichent ainsi, devant famille et amis, leur relation. Les chercheuses ont mis en relation ces rituels de mise en couple avec des rites de séparation, des fêtes de divorce, essentiellement organisées par les femmes pour marquer le retour à leur liberté. De même, la mort est encore très ritualisée dans notre société car une cérémonie permet de faire le deuil de la personne disparue. De larges marges de manœuvre sont autorisées au Canada et les industries funéraires ont bien compris les enjeux commerciaux de ce rite en proposant des cérémonies clés-en-main personnalisables à souhait.

C’est d’ailleurs cette mise en scène de soi dans l’expérience rituelle qui a permis la survivance des rites, autrefois très codifiés par les institutions (Eglise, famille, industrie funéraire…). Comment faire du neuf avec du vieux !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes