Michel FOUCHER est géographe et titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales (FMSH, Paris). C’est LE spécialiste des frontières en France avec quelques titres emblématiques : Fronts et frontières, un tour du monde géopolitique (1988), L’obsession des frontières (2007) ou dernièrement Le retour des frontières (2016). L’objectif de ce dossier de la Documentation Photographique, reprise récemment par le CNRS, est de définir clairement la frontière, ou plutôt les frontières, en fonction de leur degré d’ouverture ou de fermeture. En effet, les zones frontalières peuvent être à la fois des zones de conflits difficiles à contrôler et à sécuriser et des zones d’échange, de négoce, des interfaces.
La première partie fait le point sur. Les frontières sont d’abord politiques. La frontière internationale est la ligne divisoire première d’un monde structuré en États souverains. Ayant une valeur juridique, les frontières sont les marqueurs symboliques nécessaires aux nations en quête d’un dedans pour interagir avec un dehors. Elles font limite entre deux souverainetés étatiques, deux ordres juridiques, deux systèmes politiques, monétaires, deux histoires nationales, deux récits fondateurs. En droit international, elles sont considérées comme inviolables, mais elles ne sont pas intangibles. Enveloppes des États, les frontières se décomposent en dyades – frontières communes à deux États – faites de segments. Tous ses tracés sont artificiels (même si certaines frontières sont sites « naturelles ») et sont des constructions sociales et politiques. La carte des frontières du monde est plutôt stable depuis trois décennies. Le monde était divisé par 264 dyades et 232 106 km de frontières internationales en 1989 et par 311 dyades et 261 570 km en 2020. Les cas d’effacement de frontières sont en effet beaucoup plus rares que les modifications de tracé (Crimée, Soudan du Sud, Kosovo,…). L’Europe est le plus récent des continents, même s’il fut le lieu d’invention de l’idée nationale et de sa traduction politique en États nations. La tendance lourde de la géopolitique européenne réside dans l’aspiration des peuples qui se représentent comme des nations à disposer des attributs d’un État. Une fois tracées, les frontières produisent des effets et possèdent des dynamiques propres : persistance ou aggravation des tensions, développement de pratiques de durcissement, poursuite de la délimitation et de la démarcation, prégnance des questions migratoires, territorialisation des océans, mais aussi pratiques de désenclavement. Dans le contexte de la mondialisation et d’un idéal d’un « borderless world« , les frontières internationales sont souvent perçues comme des freins à la fluidité des échanges. Malgré tout, les États gardent la main sur leurs frontières lorsque l’ouverture est jugée néfaste aux intérêts nationaux (mesures économiques protectionnistes ou fermeture des frontières pour raisons sanitaires par exemple). A l’échelle locale, et quand les situations politiques le permettent, l’interface frontalière est pourtant une véritable ressource pour les riverains. En Europe, plus de deux millions de résidents d’un pays européen travaillent dans un pays voisin, triplant en vingt ans. Contemporain paradoxal de l’interdépendance créatrice de mobilité, le régime de séparation perdure et parfois s’amplifie, matérialisé par la construction de murs et de barrières. Quel est donc l’avenir des frontières ? retour ou effacement des frontières interétatiques ?
La deuxième partie Thèmes et documents, qui illustre concrètement les points théoriques développés dans la première partie, est divisée en trois chapitres : L’invention des frontières, attachement et dépassement, obsession et rejet. Les premiers thèmes abordés sont traités dans une perspective géohistorique de l’Antiquité (p.18-21), en passant par le Moyen Age et l’époque moderne pour la formation des frontières françaises (p.26-27) jusqu’aux principaux traités de l’époque contemporaine (p.22-23). Les thèmes suivant abordent davantage l’aspect culturel et symbolique des frontières : la frontière dans des œuvres cinématographiques et littéraires (p.30-31), quand la frontière protège (p.36-37), les ponts internationaux (p.38-39). Enfin le dernier thème précise les nouvelles dynamiques frontalières : lignes de front en Corée, au Pakistan ou en Bolivie (p.46-47), crises transfrontalières le long de la bande saharo-sahélienne (p.48-49), la tentation du mur à Chypre ou entre les Etats-Unis et le Mexique (p.50-51), les frontières maritimes en Arctique ou en mer de Chine méridionale (p.54-55), frontières et migrations (p.58-59) ou l’effacement (partiel) des frontières en Allemagne après la réunification (p.60-61) ou dans l’espace Schengen (p.62-63).
Le thème 3 du programme de 1ère de la toute nouvelle spécialité histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques s’intitule Étudier les divisions politiques du monde: les frontières. « Ce thème a pour objectif de faire comprendre aux élèves ce que sont les frontières politiques: leurs formes, leurs dynamiques, les enjeux internes et externes qui leur sont associés. Les élèves doivent percevoir que les frontières sont des zones de séparation et de contact, qu’elles sont ouvertes ou fermées, matérialisées ou non ». Dans cette optique, ce dossier de la Documentation Photographique sera très utile aux enseignants de cette spécialité à la fois pour poser les bases théoriques de la notion de frontière et pour disposer d’exemples concrets et précis à étudier avec leurs élèves.
Également à consulter sur la Cliothèque pour approfondir le thème des frontières :
Qu’est-ce qu’une frontière ? (de Anne-Laure AMILHAT SZARY)
Les frontières à l’ère de la globalisation (problèmes économiques n°3112)
Des murs entre les hommes (d’Alexandra NOVOSSELOFF et Franck NEISSE).