Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique, la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés).
La revue Parlement(s) Hors-série n° 8 a pour thème : Scènes politiques. Ce huitième dossier Hors-série est coordonné par Corinne Legoy (Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Orléans, EA Polen). Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la recherche et la seconde à des sources commentées par les historiens du présent dossier éclairant les contributions proposées par 10 chercheurs, jeunes ou confirmés. Une fois n’est pas coutume, ce Hors-série se termine par deux comptes rendus de lectures.En introduction, Corinne Legoy présente le dossier consacré aux « Scènes politiques » : c’est combien le théâtre a toute sa place dans une histoire complexe du politique attentive aux diverses modalités d’affirmation des individus dans l’espace public, aux multiples procédures de négociation d’un pouvoir de dire, à ces pratiques informelles qui lui appartiennent pleinement.
Recherche : Scènes politiques :
Arnaud Suspène : Théâtre et politique dans l’Occident romain (IIe siècle avant notre ère – IIe siècle de notre ère) : la « civilisation du spectacle » :
Les théâtres romains sont des lieux de divertissement, mais ils ne sauraient se réduire à cette seule fonction. Les représentations dépendent d’un calendrier et de procédures réglés par la cité ; l’organisation des spectacles est le fait des élites politiques ; la forme et le fonctionnement des bâtiments sont indissolublement liés à une vision ordonnée du monde et de la société. Par-là, les édifices de spectacle sont à juste titre considérés par les Anciens eux-mêmes comme des lieux d’expression du politique, tandis que les acteurs et les spectateurs des représentations théâtrales contribuent ensemble à l’animation de la vie publique de la cité. Ces faits restent constants aux diverses périodes romaines et dans les différentes zones de l’Empire.
Marie Bouhaïk-Gironès : À qui profite l’auteur ? Théâtre, responsabilité de la parole et fonction-auteur à la fin du Moyen Âge :
Parce que la justice a besoin d’un responsable, les juridictions médiévales ont dû faire face à la question du statut de la parole sur la scène de théâtre en situation contentieuse, à une époque où le texte ne porte pas de signature. Les procédures judiciaires contre le théâtre et ses acteurs nous offrent un matériel remarquable pour amorcer une enquête sur la question de la responsabilité pénale de l’auteur et enrichir la réflexion sur la fonction-auteur à la fin du Moyen Âge.
Jeffrey S. Ravel : Des définitions aux usages : une historiographie du théâtre français au XVIIIe siècle :
Restreinte, à ses débuts, à l’analyse littéraire des textes et aux biographies de grands dramaturges, l’historiographie du théâtre au XVIIIe siècle s’est élargie à partir des années 1930. Après avoir résumé les deux traditions historiographiques qui ont le plus marqué cette réflexion, à savoir les approches en terme de « Vie théâtrale » et la « New Cultural History », je m’attacherai plus précisément à deux approches actuelles qui explorent la question des usages : les travaux au croisement de l’histoire du théâtre et de l’histoire du livre, d’une part ; l’histoire des théâtres de société, de l’autre.
Philippe Bourdin : Du théâtre historique au théâtre politique : la régénération en débat (1748-1791) :
L’utilisation de l’histoire par le théâtre, la vraisemblance des intrigues et des costumes, font question durant toute la seconde moitié du XVIIIe siècle. Voltaire alimente les débats autour de sa tragédie Sémiramis. Diderot, d’Alembert, et Rousseau nourrissent à leur tour les controverses, s’interrogeant notamment sur la meilleure manière de rendre compte des violences des temps. La « tragédie patriotique », qui naît avec la Révolution française, portée par Marie-Joseph Chénier dès 1789, est l’héritière de ces réflexions : fondée sur des modèles historiques nationaux, elle prétend à un divertissement utile, politique et pédagogique. Mais elle doit cependant très vite s’effacer devant le récit à chaud des événements révolutionnaires.
Rahul Markovits : Sociopolitique des genres : la Comédie-Française à Erfurt, ou du mauvais usage de la tragédie (1808) :
Lors de l’entrevue d’Erfurt (27 septembre – 14 octobre 1808), la Comédie-Française envoyée sur place donna 16 représentations, de tragédies exclusivement. En replaçant ce choix dans la perspective d’une histoire à moyen terme de la présence des comédiens français en Europe, cet article cherche à mettre en valeur l’écart fondamental entre la fonction assignée par Napoléon aux représentations et leur effet sur le public, qui définit le cadre de ce qu’on propose d’appeler une « socio-politique » des genres.
Odile Krakovitch : La peur d’un roi désacralisé : la censure des tragédies de Marie-Joseph Chénier sous la Restauration et la monarchie de Juillet :
Autour de l’œuvre de Marie-Joseph Chénier, se sont cristallisées non seulement les questions de liberté du théâtre et d’expression, mais aussi celles des régimes politiques, monarchies et républiques. Et ce fut parce que Chénier, toute sa vie, proclama la nécessité d’un théâtre politique et moral, où serait démontrée l’urgence de l’émergence de la République et de la fin des monarchies autoritaires, que ses pièces furent, tout au long du XIXe siècle, censurées et interdites. Deux de ses tragédies, Tibère et Henri VIII, objets de l’étude présente, furent particulièrement réprimées par les gouvernements successifs et leurs censeurs.
Corinne Legoy : Sous la plume du pouvoir, le public de théâtre entre 1815 et 1830 : l’embarrassant miroir d’une nation souveraine :
Entre 1815 et 1830, le regard des pouvoirs publics sur l’institution théâtrale révèle une obsession propre à tout le premier XIXe siècle : celle du « scrutage » et du déchiffrement de « l’esprit public ». Ce qu’il trahit plus singulièrement cependant, et c’est l’objet de cet article, c’est tout l’embarras du pouvoir face au public de théâtre : de fait, s’il voit dans ce public un miroir de la nation, il ne peut en penser pour autant, sans risques politiques en cet âge censitaire, les tensions et les déchirements.
Jean-Claude Yon : Le Fils de Giboyer (1862) : un scandale politique au théâtre sous Napoléon III :
Créé à la Comédie-Française le 1er décembre 1862, Le Fils de Giboyer, comédie en 5 actes d’Émile Augier, a suscité une agitation politique d’une ampleur exceptionnelle. La pièce – vigoureuse satire du parti clérical – a été autorisée par l’empereur lui-même. Elle est à l’origine d’une vaste polémique dans la presse, prolongée par la publication de nombreuses brochures, notamment celle, très violente, de Louis Veuillot. En province, la création du Fils de Giboyer s’est accompagnée de vives tensions (à Toulouse, Angers, Nîmes, etc.), obligeant les autorités locales à prendre d’importantes mesures de sécurité. Cet article – prélude à une édition critique de la pièce – a pour ambition de ressusciter cet épisode méconnu, à coup sûr l’un des grands scandales politiques au théâtre au XIXe siècle.
Chantal Meyer-Plantureux : Le théâtre au tournant du XXe siècle : un enjeu politique. L’exemple de la Maison du Peuple de Montmartre (1891-1901) :
La Maison du Peuple, créée par un groupement socialiste en 1891, devient pendant une dizaine d’années un lieu à la fois politique et théâtral. La scène se fait l’écho des débats – Jaurès, Guesde, Sembat sont, entre autres, des intervenants réguliers – autour de la fonction de la femme dans la société, de l’injustice sociale et des moyens de lutte pour fonder un ordre plus juste. La scène de cette pauvre bâtisse de l’impasse Pers à Montmartre est l’un des exemples les plus intéressants du rôle politique du théâtre.
Frédéric Attal : Le bouffon contre les puissants : analyse de deux comédies de Dario Fo :
Peu de comédies italiennes sont aussi engagées que celles de Dario Fo. La traduction et la mise en scène récente de Klaxon, trompettes et pétarades, créée en Italie il y a plus de trente ans, incite à analyser la vision du monde politique du prix Nobel de littérature en 1995, autant que ce qui fait la force et l’efficacité de son message au service duquel le comédien et metteur en scène consacre son talent et son art de « bouffon ». De L’Enlèvement de Fanfani à Klaxon…, ce n’est pas seulement l’histoire de l’Italie des années de plomb aux illusions du miracle économique des années 1980 qui est revisitée, mais aussi la naissance et la persistance d’un courant d’opinion très répandu de nos jours, celui de l’antipolitique.
Sources :
Cyril Triolaire : « Pour une histoire de la vie théâtrale provinciale entre Révolution et Empire : le projet ANR Therepsicore » :
Les études parisiennes et provinciales conduites sur les arts de la scène sous la Révolution et l’Empire se heurtent jusqu’à présent à l’absence d’une recension des artistes, de leurs circuits et de leurs répertoires, travail auquel Max Fuchs invita le premier et que Martine de Rougemont embrassa ensuite à son tour.
Sylvain Nicolle : Rapport du préfet de police de Paris sur les cabales dans les théâtres parisiens (27 juin 1822) :
« Avec, et peut-être avant les journaux, le plus puissant moyen, au XIX siècle, pour émouvoir l’opinion, c’est le théâtre ». Difficile de trouver formulation plus éloquente – et qui n’a rien d’exagéré – pour prendre la mesure de la place occupée par le théâtre dans la société française du premier XIX siècle, et de la Restauration, en particulier.
Pascale Goetschel : Le 14 juillet de Romain Rolland à l’Alhambra : affiche de Suzanne Reymond :
1936 : le Front populaire a gagné, l’heure est à un nouveau théâtre – que l’on songe à l’enquête de Comoedia conduite durant l’été et intitulée « à temps nouveaux, art nouveau ». 14 juillet, la pièce de Romain Rolland, destinée à célébrer sa victoire, en est l’illustration.
Lectures :
Jean-Claude Yon (dir.), Les Spectacles sous le Second Empire, Paris, Armand Colin, 2010, 512 p., par Fabrice Lascar :
Issu d’un colloque qui s’est tenu en mai 2009 à l’Université de Versailles Saint-Quentin, l’ouvrage coordonné par Jean-Claude Yon revisite l’histoire culturelle du Second Empire, trop souvent réduite à la seule fête impériale ou présumée réduite à néant par la censure. Sans chercher à inverser à tout prix cette image, ni même à démentir la médiocrité de certaines productions, les contributeurs restituent la diversité des divertissements : aux côtés du vaudeville, le café-concert, l’opérette et le cirque cherchent à capter les faveurs du public.
Christophe Charle, Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne (1860-1914), Paris, Albin Michel, coll. « Bibliothèque Histoire », 2008, 576 p., par Marco Jalla :
Dans son ouvrage, Théâtres en capitales, paru en 2008, l’auteur considère en effet, entre 1860 et 1914, le formidable essor de l’offre théâtrale et la naissance à Paris d’abord, puis à Berlin, Londres et Vienne, d’une véritable société du spectacle, génératrice de nouveaux habitus qui demandent à être analysés de manière « statistique et objectiviste ».
Jean-François Bérel © Les Clionautes