« Sciences Humaines tangue (mais ne rompt pas) » dans le contexte de la crise de la presse (crise de la diffusion, hausse du prix du papier et des frais postaux, disparition des points de vente de journaux, concurrence d’internet, fuite des annonceurs vers Google ou Facebook…) mais fait appel aux dons de ses lecteurs dans l’opus placé en tête du numéro de décembre. Ce « drôle de petit canard » né à la fin des années 1980 dans l’Yonne est un ovni face aux grands groupes de presse avec ses 25 salariés alors qu’il peut se prévaloir, grâce à sa diffusion francophone, d’une lecture mondiale.

Ce contexte tendu ne se ressent pas dans le contenu du journal et c’est toujours avec autant de plaisir que l’on feuillette et découvre les pépites que révèle chaque numéro. Que trouve-t-on dans le paquet surprise de décembre ?

Les pages Actu comportent le compte-rendu de la thèse de sociologie de Gaspard Lion soutenue en juin 2018 : Habiter en camping. Trajectoires de membres des classes populaires dans le logement non ordinaire. Cette approche au plus près des habitants, suite à sa propre résidence permanente en camping, permet de faire la lumière sur cet habitat dont le choix par défaut est le plus souvent lié à une perte d’emploi, une rupture familiale et généralement à un déclassement social. Nul doute qu’une telle analyse décrochera un prix de thèse pouvant permettre une publication papier et (on peut rêver) une prise en compte par les pouvoirs publics de cet habitat particulier.

Le Point sur revient sur les infox, néologisme choisi viala boîte à idées de FranceTerme, la base de données terminologiques du Ministère de la Culture pour remplacer l’anglicisme fake news. Pouvant être définie comme « une information mensongère ou délibérément biaisée, servant par exemple à défavoriser un parti politique, à entacher la réputation d’une personnalité ou d’une entreprise, ou à contrer une vérité scientifique établie », cet énoncé différencie ainsi l’infox de l’intox par sa restriction aux seuls contenus d’apparence journalistique ». (p. 20) Le dossier, au-delà de la genèse du terme, revient sur l’histoire du terme fake news apparu lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 et sur le rôle présumé de la propagande russe dans la diffusion de fausses nouvelles ayant conduit Trump à la Maison Blanche. L’interview de Jérémy Ward, sociologue ayant soutenu sa thèse en 2015 sur Les vaccins, les médias et la population : une sociologie de la communication et des représentations des risques permet d’élargir les infox à des questions de sécurité sanitaire. Le dossier se clôt sur l’importance de l’éducation aux médias malgré le peu de moyens qui lui sont alloué.

La partie Comprendre est consacrée ce mois-ci aux nouvelles routes de la soie avec un article de Sylvie Brunel, présenté comme une sorte d’introduction à l’ouvrage que publiera l’auteure chez Sciences Humaines en mars prochain. Au-delà des ouvertures médiatiques de trains trans-continentaux entre Wuhan et Lyon ou de l’analyse de la stratégie du Collier de perles, cet article est l’occasion de faire le point sur la géopolitique chinoise et ses ambitions à l’international avec ses voisins directs (Russie, Inde, …) et ses « protégés » sous couvert de solidarité des peuples anciennement colonisés et dominés par l’Occident (Afrique). Mais, « plus elle devient une grande puissance, plus la Chine, qui a longtemps joué sur la solidarité des peuples opprimés, doit affronter les reproches d’impérialisme… » (p. 31)

Le dossier du numéro est consacré à Humains, nos origines repensées et renvoie au colloque organisé par l’INRAP et le Muséum de Toulouse en novembre 2018. Les articles permettent de faire le point sur les dernières avancées en préhistoire à propos de la généalogie de nos ancêtres. L’ensemble s’ouvre sur un article très pédagogique de Jean-François Dortier pour s’y retrouver dans l’arbre des espèces entre les premiers homidés, les australopithèques, les anciens Homo et les Sapiens. Pascal Depeape, archéologue et docteur en préhistoire, directeur scientifique et technique de l’INRAP entre ensuite dans le détail et explique ainsi que, contrairement à ce qui a longtemps prévalu, Sapien n’a pas remplacé Néandertal puisque l’étude de l’ADN des squelettes retrouvés montre un métissage entre les deux. De même, la découverte en Sibérie de Denisova en 1970 comme celle de l’homme de Florès en Indonésie en 2003 mettent à mal à ce que l’on croyait établi. Plusieurs branches ont coexisté avant que Sapien prenne le dessus. Cette complexité semble d’ailleurs contredite par l’infographie de la page 49, reprenant l’habituelle diffusion de Sapien à l’échelle de la planète entre – 300 000 et – 12000.

La rubrique Livres invite à la découverte d’ouvrages dans diverses disciplines. L’ouvrage de Janine Mossuz-Lavau consacré à La vie sexuelle en Franceest le fruit de la nouvelle enquête qu’elle a menée auprès de 65 personnes de 19 à 85 ans en France métropolitaine. La libération de la parole constatée entre les deux enquêtes (2000- 2017) est mise en lien par l’auteur avec la mouvement #MeeToo. La sociologie de San Francisco de la géographe Sonia Lehman-Frisch comme Les femmes et le pouvoir de Mary Beard ou bien encore Le travail des morts. Une histoire culturelle des dépouilles mortelles de Thomas Laqueur mais aussi L’observatoire, la revue des politiques culturelles consacrée aux Tiers-Lieux constituent le quinté de lecture que l’auteure de cet article aimerait pouvoir programmer en ce début 2019.

Le 31 décembre n’est-il pas le meilleur moment pour promettre les meilleures choses aux autres et à soi-même ! À ce titre, je souhaite Longue vie à Sciences Humaines !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes