Et si les romains du Ier siècle avaient découvert la machine à vapeur… et réussi la Révolution industrielle avec dix-huit siècles d’avance sur l’Europe ? C’est par cette question que débute l’aventure éditoriale imaginée par Raphaël Doan. 

Raphaël DoanJeune historien de l’Antiquité, diplômé de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm et de l’ENA, agrégé de Lettres classiques et enseignant à Sciences-Po Paris est l’auteur de deux ouvrages remarqués (Quand Rome inventait le populisme, publié en 2019 et lauréat des Prix Montaigne et de la Revue des Deux Mondes, ainsi que Le Siècle d’Auguste, 2021).

Quand l’Homme et l’IA collaborent : une expérience éditoriale inédite

Avec Si Rome n’avait pas chuté, le jeune historien s’est lancé le pari fou d’utiliser Chat GPT-3, la plateforme d’Intelligence Artificielle générative pour écrire sa fiction uchronique. Raphaël Doan a imaginé et pensé le scénario de base, puis en a confié l’écriture et l’illustration à l’IA. L’objectif est de tirer profit de l’IA afin de comprendre comment les historiens pourraient en tirer profit et comment l’Histoire pourrait s’articuler avec les évolutions technologiques en cours. En plus du récit, l’IA a également produit des illustrations détaillées.

Mosaïque d’un navire à vapeur sur le Tibre, Ier siècle, Musée archéologique d’Ostie.

Cette idée d’un empire romain utilisant la machine à vapeur n’est pas si absurde. En effet, même si les inventions imaginées par Chat GPT-3 sont totalement fictives, elles ne sont pas délirantes dans la mesure où l’énergie hydraulique était maîtrisée à Rome, ou, qu’à Alexandrie, au IIIe siècle avant J.C., sous le roi Ptolémée II, un automate sous forme de statue, dite Nysa, aurait été capable de se lever, de verser du lait depuis une coupe dorée, puis se rasseoir. De plus, les Grecs ont posé très tôt les bases modernes de la physique, des mathématiques, de l’astronomie, etc. Raphaël Doan, par l’intermédiaire de l’intelligence artificielle, organise une uchronie sur la base d’éléments de bascule plausibles et revendique explicitement le récit produit comme une fiction, et non pas comme une vérité alternative.

L’ouvrage commence par une double préface. La première est écrite par Chat GPT-3. La seconde, écrite par Raphaël Doan, est une longue introduction dans laquelle il explique la façon dont il a travaillé, dévoile les ombres et lumières de ces nouveaux logiciels, les raisons pour lesquelles il faut parfois s’en méfier, mais aussi celles pour lesquelles tout nous invite à s’en saisir afin de les mettre à notre service. Une entreprise inédite, un événement éditorial.

Ensuite, l’ouvrage est organisé en quatre chapitres, complétés par une chronologie alternative. A chaque chapitre, l’historien conduit l’IA à imaginer ce qu’il se serait passé dans cet autre monde et à l’illustrer avec beaucoup de précision. Si ces chapitres sont intéressants, intelligents, bien construits et bien écrits, ils manquent, d’après moi, un peu d’âme et ne sauraient remplacer le travail d’un écrivain en chair et en os.

Distributeur automatique du IIIème siècle, Ostia antica

Une réflexion intéressante sur les apports de l’IA à l’Histoire

A la fin de chaque chapitre, l’auteur propose un commentaire personnel (« Le mot de l’Historien ») et analyse d’un regard critique et documenté ce qu’a imaginé l’IA. Ces « mots de l’Historien », en plus de la seconde préface, sont, selon moi, la partie la plus intéressante de l’ouvrage. Ils permettent de mesurer l’apport de l’IA à la réflexion et sa capacité à utiliser, classer et reconstruire la masse de données disponibles sur le Net pour créer un récit. Raphaël Doan observe d’ailleurs que les transformations liées à l’IA, et notamment à l’arrivée très médiatisée et polémique de Chat GPT-3, concernent, pour l’instant, essentiellement les activités intellectuelles : « un professeur d’université a, à court terme, plus de soucis à se faire sur l’avenir de son métier qu’un ouvrier du BTP ». Sur le fond, comme il l’explique : « la principale menace des avancées dans l’intelligence artificielle réside dans leur rapidité ».

L’expérience que constitue ce récit d’un genre nouveau montre que les transformations générées par l’IA peuvent être positives et constituer un apport important aux travaux universitaires et à l’Histoire en général. Ainsi, Si Rome n’avait pas chuté est une expérience originale et très intéressante. Au-delà d’une histoire alternative, l’ouvrage conduit à se questionner sur le rôle des nouvelles technologies dans le travail des historiens, de ses apports, mais aussi de ses limites.