Yves-Marie Bercé aborde un sujet à la fois historique et littéraire : Bons princes et ministres haïssables aux XVIe XVIIe siècles, comme l’indique le sous-titre « Quand la réalité imite la fiction » l’histoire est une collection de récits mis en littérature par les contemporains.
Les aventures de quelques jeunes princes sont parfois si proches des images récurrentes du héros obligé de se dissimuler et à qui arrive maintes mésaventures que les gazettes et autres pamphlets n’ont eu aucun mal à les diffuser. C’est ce thème qu’Yves-Marie BercéArchiviste, universitaire, spécialiste de l’époque moderne, il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont sa thèse : Histoire des Croquants. Étude des soulèvements populaires au XVIIe siècle dans le Sud-Ouest de la France 1974, et parmi les plus récents : Les monarchies dans l’Europe moderne (XVIe – XVIIIe siècle), Éditions du CNRS, collection Biblis, 2016, Archives des gens simples, Presses universitaires de Rennes, 2020 ou La violence au village, XVIe-XIXe siècle, Passé/Composés, 2022 traite en sept chapitres, trois pour les bons princes et quatre pour les mauvais ministres, des récits où se mêlent la réalité historique et la fiction. Des princes qui se déguisent en valets et des ministres qui savent mourir bravement, entre comédies et tragédies, au point qu’il est difficile de savoir si la fiction emprunte à l’histoire ou si l’histoire rejoue le théâtre.
Histoire imaginaire du prince travesti
À l’époque moderne, certains moments de la vie d’un souverain sont de véritables scènes de théâtre comme le couronnement d’Elizabeth 1ère en 1559.
Yves-Marie Bercé, à partir de nombreux exemples de la littérature et du théâtre, décrit l’imaginaire de la jeunesse d’un roi vu comme l’emblème du renouveau. L’image du prince travesti et amoureux est très présente dans les contes dès le Moyen-Age, dans toute l’Europe. Le travestissement est à mettre en parallèle avec les masques du carnaval, très présents dans les bals royauxComme le goût de Louis XIV pour les ballets déguisés, février 1664 à Versailles..
Ce jeu n’est pas exempt d’arrières-pensées matrimoniales et diplomatiques dans les cours européennes. Les familles princières s’échangent des portraits peints des jeunes prétendantes. L’auteur montre les voyages incognito pour certains déplacements et les récits folkloriques où le prince se perd dans la foule pour connaître l’opinion de ses sujets, ou perdu lors d’une chasse (François 1er, Henri IV). Le roi le plus cité comme roi caché est Louis XII.
Dans ces anecdotes, le mérite et la haute naissance triomphent toujours. La Fronde offre de nombreux récits de voyages incognitos devenus indispensables dans le contexte de troublesExemple de Claire Clémence de Maillé, princesse de Condé fuyant son château de Chantilly..
L’auteur décrit les voyages de Christine de Suède.
L’échappée du jeune roi Charles II, 1651
Dans ce chapitre, l’auteur compare les récits littéraires et la véritable histoire de Charles II d’Angleterre, ou les mésaventures d’un roi en exil au temps de Cromwell. La réalité, y compris les déguisements rejoint voire dépasse la fiction.
Le récit de la fuite rocambolesque, rapportée dans les gazettes montre que les infox ne sont pas un phénomène récent, mais aussi que la version officielle après la restauration est une réécriture de l’histoire, une propagande.
Yves-Marie Bercé évoque la postérité de l’«une des plus célèbres anecdotes de la petite histoire de l’Angleterre » jusqu’au XIXe siècle.
Aventures du prince de Condé travesti, 1652
Autre aventure rocambolesque, les travestissements du prince de Condé en 1652, pendant la Fronde. Le vainqueur de Rocroy est en mauvaise posture en Aquitaine. Il se lance dans un aventureux voyage vers Paris. L’auteur relate cette fuite en détail, montre les convergences entre l’histoire et la farce. Les écrits postérieurs trouvent leur source dans les écrits de La Grande MademoiselleSophie Vergnes, Les Frondeuses, une révolte au féminin (1643-1661), Champ Vallon, 2013 de Gomberville et le théâtre de Scudéry.
Histoire littéraire du mauvais ministre
Alors que le souverain apparaît, à la Renaissance, comme légitime, le favori, le ministre est facilement jugé responsable des crises, des difficultés et renversé. On trouve ici l’opposition du bon prince et du ministre haïssable, thème classique de la littérature. L’auteur évoque la « montagne littéraire » des mazarinades.
La même tradition du favori indigne est présente en Angleterre : Piers Gaveston, favori du roi Édouard II (1284-1327) que l’on retrouve dans la littérature deux siècles plus tard, et même en France. Le comte d’Essex, favori d’ Élisabeth Ière est, lui, décapité à la hache en 1601, il incarne la justice expiatoire dans de nombreuses pièces de théâtre en France comme en Angleterre.
L’Espagne connaît, elle aussi, ce personnage de mauvais ministre en la personne d’Alvaro de Luna sous le règne de Jean II ou Gaspar de Guzmán, comte-duc d’Olivares sous Philippe IV.
La chute du mauvais ministre, historique et nécessaire
De nombreux traités furent publiés pour aider les souverains à choisir de bons ministres et des livres de conseil aux hommes de cour. Plusieurs auteurs sont cités, Machiavel, Giovanni Botero, Baltasar Gracián, Virgilio Malvezzi. L’Histoire des plus illustres favoris anciens et modernes de Pierre Dupuy fut prudemment publié à Leyde. L’auteur y dénonce, notamment, les mignons d’Henri III et les ministres de Marie de Médicis, Concini et Luynes.
Un paragraphe est consacré à la chute des favoris espagnols, un autre à celle des ministres de Charles 1er à Londres.
Un point commun à tous ces récits, on leur reproche à la fois d’avoir eu trop de pouvoir politique et de s’être enrichi, comme l’illustre la disgrâce de Fouquet.
La fin de carrière de Gaufrido
Ce chapitre est consacré à la carrière de Jacopo Gaufrido, diplomate au service de la famille Farnèse. Cet homme ambitieux devient influant auprès du Duc de Parme. Yves-Marie Bercé décrit le contexte de son ascension, les querelles entre le Duché de Parme et la Papauté, et les donations dont il bénéficie. Son échec militaire en 1649 entraîne sa chute suivie d’un procès : confiscation de tous ses biens et condamnation à mort.
L’Italie était un terrain favorable à ces destins à la fois glorieux et tragiques comme dans un autre cas, celui d’Angelo Taracchia à Mantoue.
Triste histoire du comte de Griffenfeld
Voici un autre héros emblématique, sous le règne de Christian V de Danemark, dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Dans le contexte des guerres qui opposent la Suède au Danemark, le fils d’un riche marchand accède en 1668 à la Chancellerie à Copenhague. Son train de vie dispendieux face à la sobriété du roi, des désaccords sur la politique à tenir provoquèrent sa disgrâce et sa condamnation à mort pour lèse-majesté, mais pas exécuté. Son histoire est resté dans les mémoires comme celle de quelques autres disgrâces dans les royaumes scandinaves qui illustrent la fonction expiatoire de la sentence. Ce fut le cas du baron Görtz, en Suède dont l’exécution fut qualifiée par Voltaire de vengeance.
Cet ouvrage ouvre une porte sur la façon dont les contemporains ont compris leur actualité.