Michel Roquebert : Simon de Montfort Perrin éditions, collection Tempus 403 pp. 10 €

Présenter sur le site de la Cliothèque un ouvrage consacré aux bourreau du Languedoc, lorsque l’on voit de sa fenêtre la cathédrale de Béziers, n’est pas forcément chose facile. Dans la mémoire collective des languedociens, et principalement des biterrois, Simon de Montfort, ce petit noble de la région parisienne est un criminel.
Chef de la première croisade contre les albigeois, Simon de Montfort a traversé le Languedoc en laissant derrière lui un cortège de ruines et de cendres, illuminé par de sinistres bûchers. Il est tué au combat devant Toulouse le 25 juin 1218.

Son premier fait d’armes commence au début de juillet 1209, lorsque les croisés quittent Lyon en direction du sud. La première grande cité à s’ériger devant eux est Béziers. Le 21 juillet, l’armée croisée dispose ses tentes en vue d’un siège. L’évêque de la ville rejoint le camp ennemi avec une liste de 223 hérétiques : le marché est clair, la ville sera épargnée si les catholiques consentent à livrer leurs concitoyens reconnus pour leurs croyances hérétiques.

La population catholique a la ferme volonté de préserver les libertés de sa ville. Les habitants de Béziers sont bien conscients qu’il s’agit de conserver leur indépendance face aux grands seigneurs du nord. Les croisés doivent bien comprendre que les catholiques du sud feront passer leurs intérêts nationaux avant tous les autres. Dès le départ, cette guerre religieuse aura un caractère de résistance nationale qu’elle gardera jusqu’au bout.
Le 22 juillet, à la suite d’une tentative de sortie des assiégés, tentative repoussée par les croisés, ces derniers arrivent aux portes de la ville et réussissent à y pénétrer, suivis de peu par toute l’armée alertée par le bruit de l’échauffourée. C’est à ce moment, alors qu’ils envahissent la ville, que des croisés demandent à Arnaud Amaury, légat du pape, comment distinguer les hérétiques des catholiques. Sa réponse est expéditive et sans appel: «Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens.» Partout dans la ville ce ne sont que tueries et massacres. Des milliers (20000 ?) de personnes périssent.
La riche ville de Béziers n’est plus qu’une ville pillée, ruinée et jonchée de cadavres.

Il est malheureusement impossible d’affirmer qu’Arnaud Amaury a bel et bien prononcé cette parole devenue célèbre. Elle traduit bien, par contre, l’état d’esprit de ces croisés qui combattirent l’hérésie cathare.
Ainsi, pour les grands seigneurs du nord, il était convenu de passer par l’épée tous ceux qui leur résisteraient. Arnaud Amaury, de son côté, sut également se montrer digne d’une telle déclaration lorsqu’il écrivit au pape Innocent III: «Les nôtres, n’épargnant ni le sang, ni le sexe, ni l’âge, ont fait périr par l’épée environ 20 000 personnes et, après un énorme massacre des ennemis, toute la cité a été pillée et brûlée. La vengeance divine a fait merveille.»
Dans cet ouvrage, Michel Roquebert, présente toutes les facettes de cet homme dont le passage a bouleversé voici huit siècles le destin d’une région d’Europe occidentale, dans des conditions telles qu’il a marqué de façon indélébile la mémoire collective, et pas seulement celle des Occitans?

Il a été présenté dans l’historiographie occitane comme un chef de guerre cruel et sans scrupules, mais il a pu aussi à certaines époques apparaître comme un défenseur de la foi, et jusqu’en 1942 comme le défenseur de l’unité nationale. En 1942, en effet, Pierre Belperron, présentait la croisade des albigeois comme une sorte de retour à l’ordre dans un Midi dissolu par les troubadours et les hérétiques. Simon de Montfort apparaît alors comme le principal artisan de l’unité de la France, par cette sorte d’union forcée, c’est le moins que l’on puisse dire, du Languedoc au royaume de France.

Simon de Montfort, d’après l’auteur, est incontestablement un chevalier du Christ. Et c’est en son nom qu’il apparaît comme un chef cruel et sans pitié. Mais il est aussi un homme de son époque, et d’une époque justement dure et cruelle.

Bourreau du Languedoc, c’est une chose acquise, affirme Michel Roquebert. La croisade albigeoise n’a été, sous son commandement, qu’une suite de pillages, de destructions, de meurtres et de dénis de justice. Comme toute autre guerre de ce temps-là ; Mais c’est à l’ombre de la croix du Christ, au chant du Te Deum ou du Veni Creator, que furent mis à sac les villages, détruits les châteaux, égorgés ou pendus les prisonniers, allumés les bûchers.

Cette réalité-là ne doit cependant pas occulter l’autre : Simon de Montfort fut bel et bien, aussi, le miles Christi, le chevalier du Christ que Pierre des Vauxde-Cernay a voulu et qu’il a construit page à page tout au long de son Hystoria.
C’est que le concept même de « chevalier du Christ » évoque des images plus proches de Parsifal ou de Galaad que de l’ordonnateur de bûchers collectifs, d’égorgements en série ou de pendaisons massives. Le simple mot de « chevalier » semble désormais, à lui seul, chargé de tant de noblesse et de tant de vertus, qu’il nous paraît, en ce cas précis, bien usurpé, et presque inconvenant. Mais c’est oublier que les « chevaliers du Moyen Âge » ne nous sont parvenus et n’ont pris place dans l’imaginaire occidental qu’idéalisés par la littérature, depuis les romans de la Table ronde jusqu’à Walter Scott et aux écrivains romantiques, et de nos jours par le cinéma et la BD. Ils étaient, en fait, des tueurs surtout quand ils se battaient au nom du Christ, comme ce fut le cas du chef de la croisade albigeoise.

C’est pourquoi il n’y a pas à choisir entre le saint et le bourreau, affirme Michel Roquebert. Ni à choisir non plus, bien sûr, entre défendre ou accabler Simon de Montfort.
Il a été le produit de l’idéologie de la guerre sainte, et l’instrument d’une politique qu’il n’a pas inventée, Simon de Montfort est devenu l’archétype du chevalier servant de cette idéologie meurtrière.

La guerre sainte ne saurait à elle seule toute seule pour retracer l’histoire de l’Église des XIIe et XIIIe siècles. Pendant cette guerre impitoyable, menée au nom du Christ, François d’Assise, prêchait un idéal de pauvreté et d’humilité. Simon de Montfort marque d’une tâche de sang l’histoire de l’Église et celle de la formation de la France.

Pourtant les neuf années de guerre conduite par Simon de Montfort, ont été d’un point de vue religieux un échec. Elles ont même pu, dans une certaine mesure jeter les bases d’une union nationale contre la France du Nord. Et c’est la deuxième phase de la croisade, celle conduite directement par le roi de France, qui va permettre de réaliser l’union du Languedoc au lys de France.
En effet, en même temps que se constituait et que s’étendait le domaine royal, les languedociens pouvaient parfaitement envisager une union avec la couronne d’Aragon. La face de l’histoire en aurait été alors considérablement changée.

Bruno Modica