Comment une petite fille bourgeoise du début du XXe siècle est-elle devenue une penseuse majeure du siècle dernier ? Tel pourrait être la question de cette Bande Dessinée, qui s’attache à retracer les premières années de la vie de Simone de Beauvoir, de ses premiers mots et colères à sa rencontre avec Jean-Paul Sartre. Le sujet n’est donc pas ici son œuvre, ses idées novatrices et iconoclastes, mais plutôt ce qui l’a conduit, au cours de sa jeunesse, à rejeter le cadre de pensée qu’on cherchait à lui inculquer et à en rechercher d’autres.

 

Sophie Carquain réussit parfaitement les textes de cet ouvrage ; de nombreuses phrases restent en mémoire et résonnent après avoir tourné la dernière page.

« – Simone, les femmes s’épanouissent dans la maternité !

– Moi j’aurai une vie féconde… à ma manière. Et l’amour je le veux passionné, pas routinier » p.60

« Nous sommes les seuls responsables de nos actes ! » p.76

Les pages s’enchaînent et l’on est rapidement pris par l’histoire, magnifiquement illustrée par Olivier Grojnowski. Les dessins, sobrement en noir et blanc, sont très travaillés et mettent en valeur le récit. Les visages reflètent particulièrement bien les différentes émotions qui traversent les protagonistes.

 

Les émotions sont en effet importantes dans cette BD, puisque le lecteur est à la fois spectateur et partie : tout est construit autour d’une dichotomie, ancien monde contre nouveau monde, bourgeoisie traditionnelle contre libre pensée. Ce carcan qui étouffe Simone de Beauvoir se met alors à nous étouffer aussi ; chaque personne qui semble s’en libérer entraîne un soulagement, chaque personne qui en reste prisonnière (comme Zaza) suscite la compassion.

Ainsi, ce livre n’est pas tant le récit de Simone de Beauvoir enfant, adolescente puis jeune femme, que le récit de ce qu’est l’éducation d’une fille bourgeoise au début du XXe siècle. En cela, cet ouvrage est très pertinent puisqu’il permet à la fois de bien comprendre la vie du personnage mais aussi son époque. Le choix, justement, d’arrêter la BD avant le début de la rédaction de son œuvre littéraire et philosophique est intéressant. Il permet de voir en Simone de Beauvoir une résistante anonyme contre son milieu ; une femme comme il en a existé des centaines.

 

Le fonctionnement par chapitres chrono-thématiques permet de constater l’évolution de la pensée de Simone de Beauvoir. Fille rebelle dès son plus jeune âge, le patriarcat l’oppresse très vite. Elle refuse d’occuper la place dévolue aux femmes dans la société. La maternité comme le mariage sont une aliénation. Ces deux idées sont d’ailleurs centrales dans sa philosophie. La question du rapport au corps revient aussi régulièrement. Elle pense ainsi, lors de sa puberté : « Pourquoi ce corps est-il si détestable ? Si dangereux ? Est-ce cela être une femme ? N’être qu’un organisme ? » (p. 37). Cette question d’un corps tabou (sa mère ne lui parle pas des règles), qui n’est pas entièrement sien et qui est régi par les hommes est un thème qui revient régulièrement dans les récits de femmes élevées dans des milieux conservateurs (cf. la très bonne BD Pucelle de Florence Dupré la Tour). La réappropriation de son corps est donc un moyen de se placer au même niveau que les hommes.

Cette Bande Dessinée est donc une réussite sous tous les plans, à mettre entre toutes les mains avant, éventuellement, d’aller lire toute l’œuvre de Simone de Beauvoir !

 

Cet ouvrage intéressera donc fortement les enseignants qui souhaitent utiliser la BD comme support pédagogique. Différents passages illustreront la société du début du XXe siècle, le patriarcat omniprésent et la construction de la pensée de Simone de Beauvoir. De nombreuses planches synthétisent avec force ces différents axes. De plus, le propos est accessible pour toutes les classes. Une ressource à utiliser !

Enfin, les dernières pages contiennent deux notices chronologiques (« Simone de Beauvoir, une chronologie intime » et les principales dates de la lutte féministe) et quatre pages de citations de Simone de Beauvoir, qui pourront toujours être utilisées ou méditées à profit.

 

Ainsi, le propos de Simone de Beauvoir, malgré plus de 70 ans, demeure pourtant encore d’une rare acuité. « Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité ». Le Deuxième sexe.